PREFACE DE MARCEL HANSENNE A la gloire du rugby Il est de bon ton , dans les milieux bien-pensants du rugby à xv de feindre d'ignorer l'existence du jeu à XIII , ce bâtard honteux de l'ovale. Ce sont ces mêmes esprits distingués qui , il y a peu de temps encore , prétendaient que le coup droit de Hoad , passé professionnel , avait perdu une grande partie de son intérêt , parce que sa valeur en dollars était désormais connue , alors qu'auparavant elle se contentait d'être clandestine. Alors que l'effort était le même , il était jugé , suivant le cas , bon ou mauvais : d'autant meilleur qu'il était entouré d'hypocrisie , d'autant plus mauvais qu'il était empreint de franchise. J'avoue que ce distingo subtil m'a toujours confondu... J'imagine cependant que le principal reproche qu'on adresse au jeu à XIII n'est pas d'avoir bouleversé les traditions de l'ovale , qui avaient pour effet d'augmenter considérablement le nombre de cafés en France pendant la période des mutations- les boulevards de certaines villes de province s'ornaient progressivement de comptoirs serrés les uns contre les autres- en convertissant honnêtement en francs les avantages consentis en "nature" .Ce sont là des moeurs qui , chez les XV , ont de toute façon tendance à disparaître , rendant plus pénibles les investigations de nos amis britanniques , toujours préoccupés par ces choses.Mais il est bien évident que la formule indépendante qu'ont pu adopter " les Treize" , et qui est interdite chez les XV , a contribué à leur donner ce climat de franchise qui est bien agréable , abstraction faite des opinions que l'on peut avoir sur la question. Pour moi , qui suis au courant de certaines améliorations sociales dues au jeu à XIII , je n'y trouve nullement matière à scandale. En réalité , le fond du problème est ailleurs . La haine ou le mépris suivant le cas , soulevée par le jeu à XIII , vient de son étroite parenté avec le jeu à XV , bien que des doutes soient souvent exprimés sur ce point. Certes , ce n'est pas tout à fait la même chose , et l'on n'en veut pour preuve que la longue période d'adaptation à laquelle doivent se soumettre les grands joueurs à XV " passés à l'ennemi".Leur faudrait-il aussi longtemps pour se réadapter au XV ? Voilà bien le genre de querelle que je me garderai d'allumer... Mais s'il est vrai que le XIII et le XV ont de nombreux points communs, sans pour autant se ressembler tout à fait , il reste qu'il s'agit de rugby et surtout de rugbymen. On y retrouve la même vaillance , allant jusqu'à l'héroisme . Le rein éclaté de Dejean , restant néanmoins sur le terrain jusqu'à la certitude de la victoire , peut aisément souffrir la comparaison avec le nez écrasé de Dufau , au cours d'un Angleterre-France fameux.Ce sont là , certes , des choses à faire frémir les honnêtes gens mais nous sommes ici entre passionnés de rugby , habitués des hématomes , abonnés à l'ivresse des chocs , sentant monter en nous des instincts de violence dès que la lutte pour la possession de ce ballon ovale est en jeu .Aucun sport au monde ne peut donner lieu à des vocations aussi soudaines que le rugby et je n'en veux pour preuve que le grand changement qui s'est opéré dans la vie de mon ami Haroun Tazieff , quand je lui ai lancé dans les mains son premier ballon ovale. Il en fut si bouleversé que , le jour même , il achetait un équipement complet de rugbyman et s'inscrivait , peu après , dans une équipe corporative , se mettant ensuite à distribuer avec force de sauvages coups d'épaule ,fort éloigné du parfait gentleman qu'il est d'ordinaire en toutes circonstances. Tout cela je le retrouve indifféremment chez les XIII comme chez les XV , exaltation identique de l'être , truculence semblable avant ou après le match et je ne vois pourquoi je bouderais mon plaisir , quand il est si vif partout.La création des XIII a affaibli les XV , des ponctions honteuses se sont produites , etc. J'avoue ne pas parvenir à me passionner pour ces griefs ressassés , estimant qu'il arrive toujours un moment où l'évolution des moeurs sportives commande une révision des règles anciennes devenues archaïques et que , si le XV n'a pu se résoudre à affronter ce problème de face , il est normal que se soit manifestée l'idée d'un jeu parallèle. Après tout , le rugby ne s'est-il pas joué à trente joueurs , à l'origine? Sur le spectacle donné par les XIII , spectacle , n'ayant nullement un sens péjoratif dans mon esprit - le raccourci sport-spectacle étant une création d'esprits obtus - il y a évidemment beaucoup à dire , certaines choses étant en faveur des XIII , clarté du jeu , façon dont les actions sont merveilleusement détachées , habileté dans le maniement du ballon, et d'autres prêtant à la critique , comme cette fameuse règle du tenu , qui semble plonger le XIII dans une impasse , à l'image du basket-ball , à la recherche de ses règles idéales. ll n'en reste pas moins qu'une honnête partie de jeu à XIII peut procurer un plaisir certain à quiconque se sent un penchant pour la forme ovale. Et puis , que de merveilleuse histoires viennent se greffer sur ces aventures sportives , qui font paraître désuètes ces vaines querelles d'étiquette .On y retrouve cette merveilleuse chaleur dans laquelle baignent toutes les histoires de rugby et , à cet égard , quel meilleur conteur que Henri Garcia pour nous introduire dans les coulisses du Jeu à XIII ? Le sens de l'humour est sans doute sa particularité la plus remarquable , car nul mieux que lui ne sait nous arracher un éclat de rire au moment le plus pathétique d'un récit. Et puis il possède une autre qualité , également rare , celle de s'attacher en toutes choses à ce qu'elles ont de meilleur , et non de pire . C'est grâce à cette nature généreuse qu'il peut opérer indifféremment , et toujours avec la même bonne humeur , dans les tribunes du XIII comme dans celles du XV , ce qui implique , par surcroît , une forme certaine de courage. Pour lui c'est toujours du rugby , c'est à dire un jeu qui lui procure une grande émotion , et il faut lui savoir gré de nous transmettre si bien , dans un style aussi agréable , sensible et gai . D'ailleurs , quel besoin avais-je de vous le dire ? La lecture de ce passionnant " Rugby Champagne" suffira à vous en convaincre.Il pleuvait sur Botany Bay. Depuis quatre jours , les vents du Pacifique portaient sur la côte australienne leur habituel contingent hivernal : pluies,bourrasques,frimas ,tempêtes , raz de marée. De la falaise , on distinguait à peine les paquebots sortant du port de Sydney . Triste fête nationale , en vérité , que ce 14 Juillet 1960 .Loin de la mère patrie , La Marseillaise a des accents nostalgiques qu'on ne lui connaît pas dans nos kermesses patriotiques. Autour du monument de La Pérouse , dans ce petit enclos grillagé , parcelle de terre française , nous étions là , une poignée misérable , venus en pélerinage par ce temps de Toussaint. L'équipe de France remplaçait saint-cyriens et légionnaires , modeste troupe victime de ses conquêtes. Les Tricolores se serraient au premier rang et , sous le crachin , la disparité des imperméables traduisait bien cette impression de troupe décimée . Ceux qui avaient fait trembler l'Australie quelques semaines auparavant dans le formidable premier test , ces "fabulous Frenchmen"qui dans l'imagerie populaire des antipodes, sont toujours des héros partant à l'attaque en casoars et gants blancs, les "Supermen" ne formaient plus qu'un triste bataillon de la Grande Armée après le passage de la Bérésina. A la veille du troisième test , les " fiery Frenchmen" n'effrayaient plus personne. Maintenant devait commencer la grande pénitence du XIII de France . Ces hommes qui avaient donné au rugby une dimension nouvelle , ces joueurs réputés invincibles n'étaient plus qu'une troupe d'invalides où , depuis le nord du Queensland les boiteux rejoignaient les manchots et les béquillards. Assurément le XIII de France avait perdu son visage de conquérant et, comme c'est le triste usage lorsque le lion est blessé à mort , les chacals se permettent de lui tirer les moustaches .Pauvre XIII de France agonisant,l'Australie qui t'avait craint et admiré te condamnait aujourd'hui à être enchaîné , humilié , pour le plus grand triomphe des "Kangourous". Nous rentrions dans Rome derrière le char de César. Il pleuvait sur Botany Bay . Dans les rafales de vent , je n'entendais pas les mots du consul et , avec une sorte de rage au ventre , je revoyais les titres de la presse de Sydney : L'HEURE DE LA MISE A MORT EST VENUE , L'AUSTRALIE VA REMPORTER UN SUCCES TROP FACILE ET SANS SIGNIFICATION . Même nos meilleurs amis ne croyaient plus en nous. L'heure de la Marseillaise était arrivée . Au pied de la colonne de marbre, les gosses de l'école La Pérouse étaient tassés , une centaine , de six à huit ans .J'étais heureux que le nom de la Pérouse fût précisément donné à la seule école d'Australie où les enfants blancs et aborigènes étaient mêlés .Depuis un an , ces pauvres gosses avaient patiemment appris la Marseillaise en français et leur chant , appliqué , malhabile , nous serrait le coeur. C'est idiot à dire , mais lorsque ces petits ont lancé de leur voix fluette "ALLONS ENFANTS DE LA PATRIE , LE JOUR DE GLOIRE EST ARRIVE" , nous qui avions l'habitude de massacrer cette bonne vieille et chère Marseillaise à la fin des banquets , à la demande générale et têtue, nous n'avons pu sortir un son du fond de la gorge. A la dérobée , j'ai regardé les joueurs de l'équipe de France et j'ai vu que les plus durs , les plus insensibles , les plus turbulents avaient , comme moi, les yeux pleins de larmes. Larmes d'hommes , larmes que l'on cache en baissant la tête vers le sol comme si on avait honte de sa faiblesse , larmes pleines d'amour et de rage . Vieil amour du pays qui se retrouve simple et pur avec l'éloignement. Rage d'être vaincus sans pouvoir se défendre. C'est tout cela que les rugbymen de France voulaient faire taire d'un revers de la main. Il pleuvait sur Botany Bay et nous étions là , face au drapeau mouillé , tristes et blessés seuls sur cette côte de la Nouvelle France , comme les marins de La Pérouse lorsqu'ils abordèrent , sur la BOUSSOLE et L'ASTROLABE cette terre inconnue , leur dernière escale. Dans le car qui nous ramenait à l'hôtel , nous n'échangeâmes pas dix paroles . Par chance , à l'Olympic Hotel , l'habituel quartier général de l'équipe de France , René Duffort et Jean Duhau avaient , depuis le matin , envahi la cuisine , pour préparer un repas bien de chez nous avec les moyens du bord . Les deux entraineurs de l'équipe y avaient mis toute leur science culinaire . Hors d'oeuvres variés , spaghetti bolognaise , poulet rôti , fromage danois , fruits du Queensland , le tout arrosé de bourgogne australien , un vrai festin gascon , pour peu qu'on termine pas des vieux chants du terroir. Avant le repas , Antoine Blain , le vieux lion , se leva . Malade , fatigué au terme de cette troisième tournée , le " Turc" s'adressa à ses joueurs avec des paroles simples et franches. -Mes amis , je ne suis pas Déroulède , mais comme vous j'ai été ému , lorsque ce matin les enfants de l'école La Pérouse ont chanté la Marseillaise. Ici , loin de le mère patrie , loin de notre famille , de nos amis , le mot France a une toute autre résonance.lorsqu'elle nous manque , nous nous apercevons que nous l'aimons. La France , au cours de son histoire , a fait de grandes choses , a donné au monde de grands hommes et il est bon qu'en cette veille du troisième test contre l'Australie, La Pérouse et la prise de la Bastille soient associés dans un même souvenir. Vous , mes amis , et en particulier les quatre Albigeois Fabre , Fages , Bescos et Vadon, sachez que La Pérouse , un Albigeois , représente en ces mers du Sud , l'audace , la grandeur , la classe françaises. Le 14 juillet , le "BASTIDE DAY" comme on l'appelle ici , c'est pour l'étranger , le symbole de la renaissance française. Mes amis , la France a connu des heures sombres tout au long de son histoire , mais elle a toujours trouvé les ressources pour recouvrer sa grandeur et son rayonnement alors que tout le monde la croyait perdue. Sans doute serait-il présomptueux de vouloir vous comparer à la France mais , tout de même , vous êtes ici aux antipodes , le symbole de la France. Les ministres australiens ont même dit de l'équipe de France de Rugby à XIII , qu'elle était le meilleur ambassadeur que la France ait envoyé dans ces pays du bout du monde . Comme la France à l'échelle mondiale , notre petite communauté a eu ses heures de gloire et ses jours de détresse. Dans le passé aussi on nous a cru perdus , mais vos aînés , peut-être tout simplement parce qu'ils portaient le maillot tricolore et le coq gaulois sur la poitrine , ont toujours renversé les situations les plus critiques et , finalement nous n'avons jamais perdu la série de tests ici , en Australie . Aujourd'hui , je le sais , l'équipe de France est cruellement atteinte dans ses forces vives . Gilbert Benausse , Foussat , Gruppi , Perducat , René Benausse , Verges , Moulinas , André Lacaze , Mézard , Fages , Majoral sont blessés. A la veille du match le plus important de la tournée , nous ne savons pas comment , l'équipe sera formée . Vous êtes épuisés , diminués , condamnés. Personne ne croit que vous pouvez seulement inquiéter cette sensationnelle équipe d'Australie , la plus forte aux dires de tous les spécialistes que l'on ait vue en ce pays depuis la naissance du rugby. Je n'ignore rien de tout cela , mais je sais aussi que vous êtes l'équipe de France , que vous êtes des hommes d'honneur , des hommes de devoir. Je sais que , malgré les malheurs qui nous ont frappés , vous partirez de ce pays la tête haute . Une victoire c'est peut-être au dessus de vos forces , mais je suis sûr que demain , sur ce terrain du SYDNEY CRICKET GROUND , qui a vu les plus grands triomphes du XIII de France , vous allez lutter de toutes vos forces , avec tout votre coeur. Je suis certain , que même vaincus , on vous saluera avec respect , demain ,lorsque vous quitterez le stade , parce que jamais un rugbyman de France portant sur ses épaules le maillot tricolore , n'a failli à son devoir. En ce 14 juillet , alors que nous sommes si loin de notre pays , je vous demande de vous recueillir un peu et, avant de pénétrer demain dans le stade , de songer à vos familles , à vos amis, à vos femmes , à vos enfants, à vos fiancées , qui attendent le résultat de ce match et qui croient en vous , en votre classe , en votre courage .Faites votre devoir d'international de rugby , pour eux et pour la France , notre belle France qui n'a jamais mis les deux genoux à terre. Antoine Blain s'arrêta , il regarda les joueurs qui l'avaient tous écouté avec une gravité exceptionnelle . Personne n'osait briser le silence , on retenait son souffle pour ne pas détruire cette ambiance mystérieuse , presque surnaturelle , qui avait soudain envahi la pièce . L'air était irrespirable. - Allons , ne nous laissons pas attendrir , Bon Dieu !dit Antoine Blain, et je vis que le "Turc" serrait les dents pour contenir cette émotion qu'il avait fait naître . Cette petite troupe de Français , incorrigibles frondeurs se moquant par une vieille tradition gauloise de la République , de la Marseillaise et de tout l'attirail patriotique , avait été transfigurée , en ce 14 juillet sans lampions , au seul appel de la France ; Notre équipe de boiteux , de manchots , de béquillards avait ressenti une sorte d'appel de la patrie en danger et , comme les soldats de l'an II , nos va-nu-pieds superbes des antipodes allaient , eux aussi , entrer dans la légende. RUGBY CHAMPAGNE . LA BATAILLE DE L'OVALE. NORD CONTRE SUD Par une sorte de phénomène naturel , voulant que l'élève soit souvent le plus dangereux rival du maître , le XIII de France est allé conquérir ses quartiers de noblesse en terre australienne , alors que , précisement , les "Kangourous" furent à la base de la naissance du Rugby à XIII français. C'est d'ailleurs une bien étrange histoire que celle du "schisme treiziste". Le rugby-football , codifié au collège de Rugby , avait conquis toutes les Iles Britanniques dans sa forme traditionnelle de sport viril. Il était le gardien de ce vieux jeu de football dont la violence avait amené les rois d'Angleterre à l'interdire pendant des siècles. Mais, en même temps que le sport devenait Outre Manche un véritable fait social , la révolution industrielle transformait la vieille Angleterre . La beauté sauvage des Midlands, chère à Emily et Charles Brontë, était rongée par un gigantesque cancer d'usine, à la tristesse immense . Seuls les hauts de Hurlevent, trop pauvres, trop désolé, n'étaient pas atteints par le mal du siècle . Ailleurs, partout ailleurs, on abandonnait la douce campagne anglaise pour gagner de hauts salaires dans cet Eldorado au nom de suie. Liverpool, Birmingham, Leeds, Bradford, Manchester, Huddersfield, Hull grandirent au point de ne former qu'une colossale Métropolis.L'homme paraissait être oublié dans ce chaos.Pourtant il était là, avec son fardeau énorme qui lui devint bientôt trop lourd.Des grèves éclatèrent , un peu partout , pour que le travail s'arrêtat le samedi à midi. C'est ainsi que , les premiers au monde , les ouvriers des Midlands obtinrent ce que l'on devait appeler la semaine anglaise. Un samedi après-midi de liberté, c'est magnifique dans notre midi, pour taquiner la truite ou faire une partie de pétanque, mais dans le Yorkshire, le Lancashire, ou le Cumberland, ces pays de l'ennui où les pubs restent traditionnellement clos jusqu'à 17 heures, que faire pendant que la femme, à la maison, prépare activement le rituel enterrement dominical? La réflexion fut courte . L'Anglais du Nord n'avait qu'une chose à faire le samedi de 13 heures à 17 heures : du sport en général et du rugby en particulier. S'il était jeune et bien pris , il chaussait les souliers à crampons , mais si le temps et le whisky avaient fait leur effet, alors il s'installait tranquillement autour des terrains de jeu, manifestant sa particpation en poussant de temps en temps un sonore "COME ON BOYS" ou bien au moment crucial " GO ON FORWARDS" . Il faut bien croire qu'en ces samedis après-midi de la fin du siècle, la tiédeur de foyer n'avait pas plus d'attrait qu'aujourd'hui pour le commun des Anglais car la public fut de plus en plus nombreux dans les stades .Comme l'Anglais, chacun le sait, est bon commerçant, il inventa rapidement le guichet où il préféra cracher ses 2 ou 3 shillings ,plutôt que de rester "at home". Les sujets de Sa Gracieuse Majesté étant logiques , les joueurs qui assuraient les recettes , demandèrent quelques avantages qui ne purent leur être refusés. Ainsi, le Nord de l'Angleterre vit-il naître le football professionnel dès la fin du siècle. La bonne société Londonienne cria au scandale et fixa la démarcation entre le football-association ou "soccer" et le rugby-football , par cette formule : " Le football est un jeu de gentlemen pratiqué par des voyous tandis que le rugby est un jeu de voyous pratiqué par des gentlemen." Mais, en tant que gentlemen, les joueurs de rugby restaient insensibles à l'argent...dans la mesure où ils n'en manquaient pas! Les ouvriers, mineurs ou dockers du Nord, ne trouvèrent point choquant du tout de se voir rembourser le manque à gagner et de toucher la semaine entière de leurs employeurs, qui avaient la gentillesse de ne pas tenir compte des heures perdues au rugby . Cette pratique, qui de nos jours , ne choquerait personne , provoqua un beau chahut, au sein de la très honorable Rugby Union à la fin du siècle dernier.Une véritable bataille d'Hernani eut lieu entre les industriels progressistes du Nord et les conservateurs de la gentry du Sud, Londres, Oxford et Cambridge en tête. Les comtés de Nord, le Yorkshire, le Lancashire, le Cumberland et le Cheshire, n'appréciaient guère la direction Londonienne de la Rugby Union , qui les tenait pour des parents pauvres , bien qu'ils aient gagné régulièrement le championnat inter-comtés depuis sa création. Les Nordistes estimaient qu'ils n'étaient pas suffisamment représentés à la tête de la Rugby Union et qu'on délaissait leurs meilleurs joueurs , parce qu'ils n'étaient que de simples ouvriers , au profit d'universitaires d'Oxford et de Cambridge ne les valant pas sur le point sportif. Lorsque les Nordistes demandèrent la reconnaissance du manque à gagner, les Sudistes s'indignèrent, le vote fut orageux et les Nordistes, battus de justesse, quittèrent la Rugby Union pour fonder, le 29 oût 1895 au George Hotel à Huddersfield , la Northern Rugby Football Union qui devint la Rugby Football League en 1922. Les clubs nordistes, libérés de la tutelle Londonienne, se lancèrent dans de vastes réformes . C'est ainsi qu'ils accordèrent à leurs meilleurs joueurs une prime de 7,50 francs-or par jour, tout en exigeant qu'ils conservent leur emploi. Dans les réformes du jeu lui-même , la plus spectaculaire fut incontestablement la réduction du nombre des joueurs. Quelques années auparavant seulement, en 1877 , la Rugby Union avait adopté la diminution du nombre de joueurs de 20 à 15 , imposée dès 1873 par les Universités. Cette retouche avait été rendue indispensable par les progrès athlétiques des joueurs, de mieux en mieux entraînés. A l'origine, le rugby se jouait, classe contre classe, mais la confusion était grande, voilà pourquoi le nombre de joueurs fut bientôt limité à 20 puis à 15 . Que les Nordistes soient allés, plus loin encore, en supprimant les deux avants-ailes, c'était marcher dans le sens du progrès et bien des législateurs de la Rugby Union eussent sans doute apporté la même réforme, si précisément , les dissidents du Nord ne les avaient devancés. Quoi qu'il en soit, une nouvelle forme de rugby était née, un jeu moins complexe qui se voulait dépouillé de tous les temps morts de son aîné .Un jeu moins compliqué, plus athlétique, exigeants de ses adeptes plus de vitesse, plus de vitalité, plus de robustesse aussi et offrant en revanche beaucoup moins de temps de récupération. La guerre des deux rugbys étaient née , sorte de petite guerre de religion où l'antagonisme latent entre les orthodoxes et les réformés fit naître parfois des passions aveugles. RUGBY CHAMPAGNE LA BATAILLE DE L'OVALE. LA REVOLTE DE JEAN GALIA Le rugby français est un grand pécheur devant l'éternel britannique. N'étant pas toujours très orthodoxe, ses écarts de conduite lui ont valu d'être excommunié par deux fois, en 1913 et en 1931 .La perfide Albion ayant jeté l'anathème sur la doulce France, les dirigeants treizistes d'Outre-Manche estimèrent que l'occasion était magnifique pour envoyer un corps expéditionnaire sur le continent. La venue des "Kangourous" en Angleterre , à l'automne de 1933, fut décisive. Le directeur de la tournée australienne , Harry Sunderland, l'Ecossais John Wilson, secrétaire général de la Rugby League et les très honorables Joe Lewthwalte, Walter Popplewell et Wilfried Gabbat qui devaient par la suite, se succéder à la présidence de la Rugby League. Prendre contact avec des officiels de La Fédération Française de Rugby cela n'était pas pensable , il fallait agir par la bande, tater le terrain. John Wilson qui avait représenté la Grande Bretagne en cyclisme aux Jeux Olympiques de 1912 à Stockhlom, estima que le plus sage serait de prendre contact avec un des hommes connaissant le mieux la situation du sport en France, son ami Victor Breyer , membre de l'Union Cycliste Internationale et directeur de l'ECHO DES SPORTS. John Wilson et Harry Sunderland se mirent d'accord avec Victor Breyer pour organiser un match-démonstration, Angleterre-Australie , le 31 décembre 1933 au stade Pershing. Pour ce qui était de prendre contact avec des personnalités du rugby français, Victor Breyer conseilla aux émissaires d'Outre-Manche de voir un jeune journaliste responsable de la rubrique rugby à SPORTING et qui n'était autre que le regretté Maurice Blein. Les dirigeants de la Rugby League voulaient inviter un groupe de rugbymen français pour faire en Angleterre une tournée d'initiation. - Pour conduire cette tournée , il vous faut non point un officiel en rupture de fédération, mais un joueur qui soit en même temps un chef audacieux et cet homme existe, c'est Jean Galia , affirma Maurice Blein. Jean Galia était l'une des plus fortes personnalités que le rugby français ait produit, celui que les Anglais eux-mêmes avaient désigné comme le meilleur avant d'Europe. Grand rugbyman s'il en fût, et homme d'affaires avisé, Jean Galia , ce mois d'Octobre de l'an de grâce 1933, était un homme en colère . La Fédération venait de le radier pour une ténébreuse affaire . Après avoir signé à Quillan pour 80.000 francs-or, sans que la justice fédérale ait bougé son glaive d'un pouce, Jean Galia était passé à Villeneuve où l'avaient suivi les trois vedettes catalanes, Bardes,Noguères, et Serre-Martin. Cela fit un beau remue-ménage dans la mare fédérale et plus d'une grenouille cria au scandale. Les limiers fédéraux se mirent en piste . On soudoya un postier villeneuvois , chargé de détourner , vers le tribunal fédéral , toute correspondance permettant d'établir que les trois catalans n'étaient pas allés pour des prunes dans la capitale des pruneaux. Un beau jour , l'espion intercepta un télégramme destiné à Noguères où il était question d'une "indemnité de déplacement" et qui était signé : Jean . Comme pour tuer son chien on dit qu'il a la rage, les dirigeants fédéraux, qui n'aimaient guère la forte personnalité de Jean Galia, décrétèrent que ce Jean- là c'était Galia .Bien que celui-ci ait affirmé devant les juges fédéraux, et jusqu'à la fin de sa vie, qu'il n'était pas l'auteur du télégramme, il fut radié. Dès ce jour-là, Jean Galia voulut une revanche éclatante .Contacté par les émissaires de la Rugby League, il accepta de voir le match Angleterre-Australie , le 31 décembre 1933, à Paris. Il faisait un froid glacial le jour de la Saint-Sylvestre mais , néammoins, 20000 spectateurs envahirent le Stade Pershing pour voir le match Australie-Angleterre. Malgré le terrain verglacé , la démonstration fut un triomphe, la nette victoire de l'Australie (63.13), la vitesse du jeu des "Kangourous", stupéfièrent le public français.A la fin du match, John Wilson et Hary Sunderland retrouvèrent Jean Galia qui leur dit simplement: - Pour quand voulez vous une équipe de France en Angleterre? La tournée française fut fixée au printemps 1934 . Jean Galia avait un tel prestige, qu'il n'eut aucune peine à rassembler dix-sept des meilleurs joueurs du moment pour partir avec lui à la découverte du néo-rugby. Les dix-sept pionniers qui, au début du mois de mars, allaient tenter l'aventure étaient les suivants: GALIA ( C.A Villeneuve) RECABORDE ( Section Paloise) DUHAU ( S.A.Bordelais) SAMATAN (S.U.Agen) CARRERE ( R.C Narbonne) PORRA (Lyon.O.U) BLANC ( Capbreton) PETIT (S.L.Nancy) MATHON ( Oyonnax) LAMBERT (Avignon) BARBAZANGES (Roanne) NOUEL ( S.A.Bordelais) CASSAGNEAU (Espéraza) AMILA (Lézignan) VIGNALS (Toulouse) DECHAVANNE (Roanne) et FABRE (Lézignan) Les Galia's boys furent battus le 6 mars à Wigan (27.30) puis le surlendemain à Londres, à White City, par les London Highfields et encore le 14 mars à Leeds. Le 17 mars, à Warrington, premier match international entre la sélection française et une sélection de la Rugby League, et nouvelle défaite (16.32) .La tournée, bien que brève, épuisait les Français qui découvraient un rugby ultra-rapide. A Hull, le 24 Mars, pour leur cinquième match, les Galia's Boys obtenaient leur premier succés (26.23), mais nous ne pouvons pas tirer une gloire impérissable de cette première victoire des pionniers, car ceux-ci, n'étant plus qu'une douzaine encore valides, naturalisèrent illico un joueur de Burnley qui prit le nom d'Eugène Vignial et ce Vignial d'adoption fut le grand artisan du succés des hommes de Galia. Enfin le voyage d'études se terminait à Salford par une lourde défaite (13.35) , le 26 mars 1934. Cette tournée , pour peu brillante qu'elle fût , eut cependant un grand retentissement. Les relations étant rompues à XV avec les Britanniques, l'introduction en France du Rugby à XIII allait permettre au public français d'assister à de nouvelles rencontres internationales dans le domaine du ballon ovale. Dès le 6 avril, La Ligue Française de Rugby à XIII déposait ses statuts à la Préfecture de Police de Paris et , chose curieuse, son président était un pur breton : M.François Cadoret , député-maire de Riec- sur- Belon, les autres membres du Comité Directeur étant MM. Vinson , Galia , Bordeneuve , Machavoine, Meunier, Delblat, Bernat, et Maurice Blein. La Ligue concluait aussitôt un France -Angleterre pour le 15 Avril au Stade Buffalo. Le succés populaire fut énorme . Des centaines de personnes ne purent entrer dans un stade archi-comble. La FFR envoya quelques perturbateurs pour faire du chahut mais ils faillirent se faire lyncher par le public. De nombreux joueurs enthousiasmés, par le nouveau jeu qu'ils découvraient, suivirent la trace de pionniers de Jean Galia .La ligue, recevant les adhésions par centaines, voulut battre le fer pendant qu'il était chaud, c'est pourquoi elle demanda à l'Angleterre de lui envoyer la très forte sélection du Yorkshire. Cette tournée devait mener les Anglais le 5 Mai à Buffalo, le 6 à Villeneuve, le 10 à Bordeaux et le 13 à Pau. Pourtant elle débuta le 1er Mai par Lyon car déjà Maurice Tardy, alors modeste représentant en roulements à billes, était atteint par deux virus : celui du rugby à XIII et celui de l'organisation. Si depuis , les roulements à billes ont si bien roulé qu'ils ont placé l'ami Maurice à la tête d'une situation enviable , à l'époque , celui-ci n'avait pour toute fortune qu'une ROSENGART ...qu'il n'avait pas fini de payer. Maurice Tardy n'a jamais manqué d'audace .Pour organiser ce match , il n'hésita pas à offrir à la Ligue , une garantie de 30.000 francs...qu'il n'avait pas , et à signer un contrat d'exclusivité avec le stade de Lyon-Villeurbanne ...pour cinq ans. Le 1er mai au matin , Maurice Tardy se leva à la pointe du jour pour scruter le ciel et lire les journaux. Il dégringola donc de sa mansarde à 5 heures avec l'idée d'acheter aussi un brin de muguet, afin de mettre tous les atouts dans son jeu. Il pleuvait des cordes et les gazettes lyonnaises annonçaient une grève générale des tramways... C'était la catastrophe ! Avec son brin de muguet, il remonta à son cinquième, résigné à la perte de sa ROSENGART et même à la paille humide des cachots. Mais, dès ce jour-là, on eut la preuve flagrante que Maurice Tardy était né sous une bonne étoile. La pluie s'arrêta miraculeusement sur le coup de midi, la grève des tramways fut différée, le recette s'éleva à 57.000 francs et l'on vit débuter celui qui allait devenir le plus grand parmi les grands : Max ROUSIE, notre cher " Maxou" qui remplaça successivement les "pionniers" Vignals à la mêlée, puis Amila à l'ouverture. C'était un succés énorme, mais Maurice Tardy céda, avec un certain soulagement, ses cinq ans d'exclusivité du stade Lyon-Villeurbanne à M.Pancera , organisateur de boxe et de course de Speedway et grand ami de Delblat, directeur du stade Buffalo. La tournée du Yorkshire fut triomphale et fit éclore des clubs treizistes. Le S.A Villeneuve suivit Jean Galia et Max Rousié et passa à la Ligue en bloc. Une fraction du S.A Bordelais , avec à sa tête MM.Loze, Queheillard, Pelot et Rosenblat, quittait la FFR et fondait Bordeaux XIII . Encouragés par les "pionniers" Dechavanne, Duhau et Petit, Gustave Placé, qui avait fait un riche héritage et un jeune industriel, qui allait devenir un des rois du tricot, Claude Devernois, montaient la constellation de Roanne XIII. A Perpignan, c'était le terrible Marcel Laborde, toujours prêt à rompre une lance, qui fondait le XIII Catalan. Le Rugby à XIII montait en flèche et faisait sortir le ballon ovale d'un championnat qui sombrait dans la médiocrité d'un jeu stérile , privé du rayonnement des luttes internationales. Même Paris était gagné par la fièvre treiziste. MM.Drouets et Clemenceau , que les étudiants frondeurs avaient baptisés les "Croque-morts" , à cause de leur allure sévère et de leurs vêtements sombres , montraient qu'ils ne manquaient pas de vitalité et fondaient Paris XIII. Le sport n'avait pas alors le visage souvent austère qu'on lui connaît aujourd'hui et l'avènement de rugby à XIII fut accueilli joyeusement au Quartier Latin . Cette guerre naissante des deux rugbys devait être , on s'en doute , l'occasion de magnifiques coups -fourrés des étudiants. Les plus turbulents , mécontents du trop grand rigorisme qui régnait , à leur gré , au sein du PUC fondaient le Q.E.C ( Quartier Etudiant Club) présidé par Louis Jacquinot , plus célèbre , par la suite , comme ministre. On y remarquait celui qui allait être le fameux compositeur Francis Lopez , un jeune chanteur qui devait atteindre , lui aussi, à la célébrité sous le nom d'André Dassary et un étudiant des Beaux-Arts qui allait devenir notre excellent confrère et grand ami Loys Van Lee. Par respect pour la vérité historique, nous sommes obligés de révéler à ses nombreuses et jeunes admiratrices que le beau "Lolo" fut le premier joueur ayant marqué en France un essai treiziste.C'était en lever de rideau du fameux match France-Angleterre en 1934 à Buffalo. Van-Lee était international scolaire d'athlétisme et un trois- quarts aile rapide. Personne ne reconnut le beau Loys à la blonde chevelure de dieu Viking , quand il s'aligna pour la match Q.E.C / S.O.P , avec une barbe et une perruque de vieux moujik négligé, sous le nom d'Eloysa.La partie d'Eloysa fut mémorable. Alors qu'il filait marquer le premier essai treiziste de l'histoire pour le compte du Q.E.C , un joueur du S.O.P , au prix d'un effort désespéré parvenait à sa hauteur , allongeait la main pour le saisir au maillot mais ses doigts n'accrochaient que le bas de la perruque. Lorsqu'il vit que les cheveux d'Eloysa lui restaient dans la main, le malheureux, horrifié, tomba raide en pamoison. Ce furent aussi Van Lee et ses amis qui, pour faire ripaille chez Capoulade vendirent à Paris XIII pour la coquette somme de 1000 francs pièce, deux internationaux d'athlétisme qui jouaient au Q.E.C : Levier et Dessus. Comme dans un funiculaire , la montée treiziste était accompagnée par la descente quinziste. Le néo-rugby, clair, rapide, pétillant, attirait une à une toutes les vedettes quinzistes lasses de pauvres matches internationaux contre l'Allemagne ou la Roumanie . La Ligue venait de découvrir un attaquant de génie, un jeune basque nommé Jean Dauger qui allait faire, avec l'incomparable Max Rousié,un tandem monumental. Un autre attaquant, le catalan Jep Desclaux, passait à treize et c'est ainsi que le XIII de France, devenu la véritable expression du rugby national , battait l'Angleterre 12 à 9 chez elle pour la première fois,le 25 février 1939. Juste revanche , la victoire des Tricolores sur l'éternel ennemi d'Outre-Manche était obtenue....à Saint Helens . Tandis que la Ligue triomphait, la F.F.R dans son congrès de Marseille , le 24 juin 1939 constatait que ses effectifs avaient fondu comme neige au soleil. Ses clubs n'étaient plus que 471 ; on en comptait 784 en 1930! Que serait-il advenu du Rugby à XV de ce côté de la Manche , sans la seconde guerre mondiale? Il peut sembler paradoxal que la guerre d'abord, l'occupation ensuite, aient sauvé la F.F.R. La deuxième guerre mondiale amena, plus de force que de bon grè, ces messieurs de l'International Board à donner l'absolution . Voyons ! en pleine Entente cordiale , alors que la France et l'Angleterre étaient côte à côte sur le même front, et que beaucoup de Français s'étonnaient de voir l'Angleterre envoyer aussi peu de Tommies sur les bords du Rhin, on n'allait pas se regarder en chiens de faïences pour cette facheuse affaire de 1931 où l'International Board , ne trouvant pas nos joueurs suffisamment gentlemen , avait rompu les relations! Ainsi donc , après quelques interventions de certaines personnalités du Quai d'Orsay auprès de leurs confrères du Foreign Office, nos amis britanniques nous envoyèrent un corps expéditionnaire, un des rares disent les mauvaises langues. Pour montrer son souci de coopération, la F.F.R décida de recevoir les soldats -rugbymen de Sa Très Gracieuse Majesté britannique , au Parc des Princes . Mais si , au camp du Drap d'Or , notre François 1er avait fait toucher les épaules à Henry VIII , ici les Tricolores ne touchèrent pas terre. Le XV de France n'était guère costaud à ce moment-là.Les Britanniques lui infligèrent un cuisant 36-3! Nos dirigeants étaient heureux tout de même ; ils pouvaient, cette fois sans mentir ( comme cela leur arrive parfois pour ne pas réveiller la susceptibilité des dignes gentlemen) affirmer que les Britanniques restaient nos maîtres incontestés. Cela valait bien une reprise sans doute... Assurément les catastrophes réussissaient bien à la F.F.R .La guerre lui avait rendu un indispensable adversaire .L'occupation allait la délivrer d'un indésirable et dangereux rival .Au nom de qui , au nom de quoi , par quelles influences , par quelle sombre machination , en vertu de quels principes , le 29 décembre 1941 le gouvernement de Vichy décida-t-il de prononcer un décret de dissolution à l'encontre d'un seul sport:le rugby à XIII , Je sais bien que la poussière du temps estompe plus d'une injustice, mais quand, ceux qui aiment le sport et non pas une chapelle , pourront-ils oublier ce décret du Gouvernement de Vichy? Secrétariat d'Etat à l'Education nationale et à la Jeunesse. N°5285 - Décret du 19 décembre 1941 ,portant dissolution de l'association dite Ligue Française de Rugby à XIII - Nous , Maréchal de France , chef de l'Etat français , - Vu la loi du 20 décembre 1940 relative à l'organisation sportive - Sur la proposition du secrétaire d'Etat à l'Education nationale et à la jeunesse , Décrétons : Art 1 - L'association dite Ligue Française de Rugby à XIII, dont le siège est à Paris 24 ,rue Drouot , est dissoute , l'agrément lui ayant été refusé. Art2 -Le patrimoine de l'association dissoute , en vertu du précédent article , est transféré , sans modification , au Comité National des Sports qui en assume toutes les charges et qui sera représenté aux opérations de liquidation de son secrétaire général M.Charles Denis , officier de la Légion d'honneur. Art3 - Le secrétaire d'Etat à l'Education nationale et à la Jeunesse est chargé de l'exécution du présent décret qui sera publié au journal Officiel. Fait à Vichy le 29 décembre 1941 Ph . PETAIN Pour le Maréchal de France Chef de l'Etat Français Le Secrétaire d'Etat à l'Education nationale et à la Jeunesse. Jérôme CARCOPINO. Qui joua ici le rôle de Lady Macbeth ? Mystère ! Mais une chose demeure : la guerre des deux rugbys se termina par un assassinat . Et tous les parfums de l'Arabie... RUGBY CHAMPAGNE LA BATAILLE DE L'OVALE LE RAPT DE PAUL BARRIERE La paix revenue , les hostilités reprirent entre les frères ennemis. Le diabolique Marcel Laborde fut parmi les premiers à déterrer la hache de guerre. Notre machiavélique Catalan sentait pourtant ses forces décliner, il voulait transmettre le flambeau à peine rallumé à quelqu'un de plus jeune, car il savait que la lutte serait dure , acharnée , pour que le rugby à XIII retrouve sa place au soleil. Il était persuadé qu'un jeune de ses amis, Paul Barrière , ancien chef des maquis de l'Aude aurait l'audace, la santé, la tenacité, pour relancer cette machine tombée au point mort. Un jour de l'automne 1944, il fit appeler le jeune Paul à son chevet. Marcel Laborde se mourait et c'est des mains d'un agonisant que Paul Barrière prit un dossier à porter de toute urgence à Paris, au Comité National des Sports . Paul Barrière monta dans la capitale . Après avoir longuement attendu dans l'antichambre du C.N.S, un employé vint lui répondre que le dossier du Rugby à XIII n'était pas près d'être accepté. - Et pourquoi donc ? demande-t-il . - Ce serait trop long à vous expliquer. - Rendez - moi le dossier . Je ne connais pas grand chose au Rugby à XIII , mais désormais je m'intéresse à lui. Paul Barrière rentra , par le premier train , à Perpignan où il apprit avec stupéfaction, que Marcel Laborde avait repris ses fonctions de Président de la Chambre de Commerce . Il y fut d'un saut, expliquant à son vieil ami qu'il était révolté et prêt à entrer dans la lutte. Marcel Laborde, dont le corps chétif était enfoui dans l'immense fauteuil présidentiel, avait un sourire sardonique au coin des lèvres .Paul Barrière en fut interloqué. - Mon cher Paul, je savais ce qui allait arriver. Moi ces choses-là ne m'étonnent plus, comment pourraient-elles m'indigner? Alors j'ai usé d'un petit stratagème. Comme je ne suis jamais bien portant, je n'ai eu aucune peine à faire semblant d'être malade . Ainsi je t'ai obligé à plonger dans le bain brûlant du Rugby à XIII . Tu es jeune, passionné, téméraire .Paul, tu seras un grand président, le plus jeune des présidents de France. Marcel Laborde, une fois encore, vit juste . Paul Barrière fonça, parfois aveuglément, comme ces taureaux Miura qui baissent les cornes dès que l'on agite la muleta . Il perdit sa fortune , mais avec Claude Devernois, son frère d'armes , il réinstalla le Rugby à XIII en plein soleil. Ce que firent Paul Barrière et Claude Devernois pour la restauration du Rugby à XIII , un livre entier ne suffirait pas à en conter les péripéties. Une des aventures les plus mouvementées fut le passage de Puig-Aubert, le nouvel enfant-roi de Perpignan, dans les rangs de Carcassonne la Treiziste. Puig-Aubert était condamné à un destin hors série. Dès sa naissance il se distingua. Le futur "Pipette" Catalan de vieille souche , naquit non pas au pied du Castillet mais à Andernach , petite ville de Rhénanie. Ainsi donc, avant de porter le blason " sang et or" , le petit Aubert connut-il l'or du Rhin. Précisons que s'il fit ses premiers pas au pays de Siegfried et des Walkyries et non aux accents de le sardane , ce fut tout simplement parce que Monsieur Jean Puig était ( avec Madame), en occupation du coté de Cologne. Pous simplifier les démarches d'état civil, Aubert Puig fut déclaré à la mairie d'Arles-sur-Tech .Ainsi la "race" récupérait un de ses plus fameux rejetons. Jean Puig , comme tout catalan digne de ce nom, était un passionné du rugby. Membre de l'U.S.A.Perpignan, il n'eut aucune peine à transmettre à son fils l'amour du ballon ovale. Le jeune Aubert Puig débuta donc à quinze ans à l'Avenir Perpignanais. Cette petite équipe comptait parmi ses juniors deux autres gaillards turbulents qui allaient , eux aussi , faire parler d'eux: Gaston Comes et Joseph Crespo. On comprend que ce club modeste ait été champion du Roussillon de 4éme série en 1941. L'année suivante , Aubert Puig passait aux juniors de l'U.S.A.P. Maigre comme un pique-feu, le jeune Aubert aimait déja fumer la cigarette. Comme l'herbe à Nicot était rare en ces temps de disette, Aubert ne roulait que des minces cigarettes, des "pipettes" et il en roula tant que bientôt "Pipette" devint son légendaire surnom. Avoir un nom, c'est beau, mais un surnom classe son homme dans le monde du rugby et celui de "Pipette" allait devenir le plus célèbre , le plus illustre de sa génération. Au cours de la saison 1943-44, l'U.SA.P se trouva sans arrière. Elle appela donc, en première le jeune prodige des juniors, contre le, S.U. Agen. Comme il y avait déja un Puig dans l'équipe, Aubert Puig devint Puig-Aubert. Il garda le poste et ne put se séparer de son nouveau patronyme . Ainsi à dix-neuf ans, ce gamin haut comme trois pommes, accusant à peine 55 kgs avec ses souliers à crampons, ébahit le public de la capitale, lors de la fameuse finale U.S.A.Perpignan-Aviron Bayonnais. Le train de supporters catalans avait été retardé par les alertes, nombreuses en ce printemps 1944. Lorsque les centaines d'aficiniados arrivèrent essouflés, aux grilles du Parc des Princes avec leurs gourdes et leurs fanions, ce fut pour se heurter à la marée humaine sortante,qui portait aux quatre coins de la France le nom de Puig-Aubert. Comment , après un tel triomphe , Puig-Aubert n'eût-il pas attiré les chasseurs treizistes lorsqu'ils décidèrent, après la libération, de passer à l'attaque? Paul Barrière eut de nombreuses entrevues avec la famille Puig, afin que le jeune "Pipette" signât à treize .L'intéressé, sa mère et un cousin étaient pour; le père en revanche, restait farouchement contre. Un dimanche d'automne , M.Jean Puig partit à la chasse de bon matin, Paul Barrière aussi. Sans en parler à son père , "Pipette" fortement encouragé par son cousin, avait accepté d'aller jouer à treize à l'A.S.Carcassonne. Paul Barrière vint donc le chercher à l'aube. Nouant les draps de son lit ,"Pipette" s'éclipsa sans tambour ni trompette , pour ne pas alarmer sa mère. Si Paul Barrière avait fait bonne chasse , Jean Puig revint bredouille ce jour-là. A l'heure apéritive, le père Puig s'arrêta au Palmarium, place Arago, pour boire un Banyuls et discuter avec ses amis de la composition de l'équipe qui, l'après-midi même, devait rencontrer le T.O.E.C. Les supporters de l'U.S.A.P avaient l'air renfrogné . Le béret avancé sur le front indiquait la gravité de la situation. - Mais qu'est-ce que vous avez ? demanda Jean Puig - Tu es bien, comme les cocus , le dernier averti! Il y a que ton vaurien de fils, pendant que tu tirais les perdreaux, a pris la poudre d'escampette. A l'heure où nous sommes, il doit être au diable du coté d'Espéraza ou de Carcassonne. Par respect pour le lecteur , nous tairons ici les jurons que Jean Puig prononça ce jour-là. Tous ceux de la langue catalane y passèrent, et Dieu sait qu'ils sont nombreux! Il jurait encore lorsqu'il pénétra à la gendarmerie pour porter plainte contre Paul Barrière. - Plainte pour quoi ? dit le brigadier - Pour rapt d'enfant, jeta Jean Puig du haut de sa colère. L'après-midi , Puig-Aubert se préparait à jouer avec Carcassonne son premier de match de Rugby à XIII contre Béziers. Paul Barrière attendait avec impatience les débuts de son oiseau rare, lorsque deux gendarmes se présentèrent à lui devant les vestiaires. Ah! Si les gendarmes avaient été de Saint -Quentin ou de Morlaix, les choses se fussent probablement passées différemment! Mais voilà ils étaient de Carcassonne... - Bonjour , M'sieu Barrière ...Nous sommes ennuyés...C'est que... Nous avons reçu l'ordre de vous conduire à la gendarmerie... - Eh bien , mes amis , allons-y! Mais je crois qu'il doit y avoir une méprise, répliqua Paul Barrière, de l'air assuré qui était le sien. Il n'obtint pas une réponse immédiate car, malgré les apparences, il y avait une tempête sous les képis des dignes représentants de la maréchaussée de l'Aude. Une sorte de débat cornélien entre le Devoir, qui voulait que l'on emmenât Paul Barrière manu militari s'expliquer devant le capitaine, et l'Envie qui les poussait à voir le match de rugby. Eh oui ! Comme dirait le pôète , pour être gendarme on n'en est pas moins homme et, le dimanche ,en Languedoc , un homme ne saurait être privé de rugby après le pousse- café. Il y eut un silence et l'un des gendarmes avança: - C'est que les formalités chez nous, vous savez, c'est parfois long et nous pouvons bien rater le match. - Messieurs, je suis un homme d'honneur. Vous avez ma parole que je ne m'échapperai pas, mais pour que vous fassiez votre devoir tout en assistant au match de rugby, je crois que le mieux serait de vous placer à mes côtés, sur le banc de touche . Nous irons à la gendarmerie après... Nos gendarmes ne furent pas insensibles à des arguments aussi logiques que pratiques: ils voyaient le match et ils veillaient sur le prévenu.Avant de se constituer prisonnier, Paul Barrière alla aux vestiaires féliciter l'enfant-prodige . Lorsque " Pipette" sut que le président était poursuivi pour "rapt d'enfant" , il s'écria: - Ce n'est pas possible , papa a fait cela sur un coup de colère , sans en parler à maman .Or,chez nous, c'est elle qui commande! Je vais lui téléphoner. Il faut croire que l'autorité matriarcale était grande dans la famille Puig car, quelques instants plus tard, la gendarmerie de Carcassonne était avisée que M.Puig Jean retirait sa plainte. Ainsi commençait la nouvelle carrière de Puig-Aubert , l'incomparable"Pipette" qui, lors de la première croisade du XIII de France en Australie, s'imposait comme le plus grand arrière de tous les temps. RUGBY CHAMPAGNE AVENTURES DANS LES MERS DU SUD Nous ne craignons rien sinon que le ciel ne tombe sur nos têtes. Les Gaulois. L'Australie c'est plus qu'une nation , c'est un continent perdu au bout du monde qui regarde notre vieille Europe avec la sympathie et l'admiration que l'on porte aux musées. Ceux qui n'aiment pas la franchise un peu rude des "Aussies" déclarent: - L'Australie est grande comme l'Europe , y compris la Russie, peuplée comme la Belgique et elle se prend pour les Etats-Unis. Sans doute cette fierté australienne , pour tout ce qui est australien ,agace un peu mais , après tout , n'est-elle pas légitime dans ce pays trop neuf qui est passé tout droit des lents chariots des pionniers à l'âge de l'aviation? Sur le continent , la préhistoire a survécu , mais l'homme n'ayant pas laissé de passé , est tourné tout entier vers l'avenir. Avec la rapidité épidémique propre aux pays neufs , la Rugby League a gagné une puissance colossale aux antipodes. Mais ce fut une bien étrange conquête. En 1905 , l'équipe de rugby à XV de Nouvelle-Zélande , les fameux "All Blacks", en tournée en Grande Bretagne, avait vu jouer quelques matchs de rugby à XIII dans les comités du Nord de l'Angleterre; Les "All Blacks" avaient été séduits par cette forme nouvelle de rugby, dont ils ignoraient l'existence. De retour en Nouvelle-Zélande , Georges Smith et A.H Baskerville , deux des plus fameux attaquants que les "All Blacks" aient jamais possédés, décidèrent d'organiser un voyage en Angleterre pour étudier ce néo-rugby.Le projet fut rapidement mis à exécution.Ils partirent d'Auckland pour l'Europe via Sydney avec vingt-cinq des meilleurs joueurs néo-zélandais. Ces pionniers d'un nouveau genre s'étaient appelés les "All Golds"; ils portaient le maillot jaune pour contraster avec la tenue endeuillée des "All Blacks". Il ne faudrait pas croire pourtant que la casaque dorée fût un signe extérieur de la richesse des "All Golds". En fait, chacun des pionniers dut verser 50 livres pour frais de route, ce qui les condamnait à une vie ascétique tout au long de ce périple de cinq mois. Fort heureusement pour eux, ces aventuriers allaient trouver un secours providentiel à Sydney , en la personne de la Rugby Union Australienne qui leur proposait de disputer trois matches à quinze , contre de fortes sélections et pour des sommes rondelettes.L'excommunication étant alors inconnue , nos "All Golds" désargentés ne se firent pas prier. Ils flanquaient trois raclées aux australiens et mettaient 1000 livres dans la caisse commune, de quoi alimenter l'ordinaire de la vie anglaise par quelques bonnes pintes de bière. Baskerville pouvait même s'offrir le luxe de renforcer son équipe en invitant le plus célèbre rugbyman d'Australie: Dally Messenger dit "The Master". Séduit par l'aventure ,"The Master" s'embarquait aves les"All Golds" sur le steamer"Ortona" le 24 août 1907. Les "All Golds" firent une remarquable campagne en Angleterre , remportant la série des tests avec deux victoires et une défaite et un total de 19 succès sur 34 matchs. De retour aux antipodes , Baskerville et Messenger devaient prendre résolument la tête du mouvement treizsite en Nouvelle-Zélande et en Australie. Baskerville trouva un chemin difficile dans une Nouvelle-Zélande accrochée à ses traditions fraîchement importées des Iles Britanniques. Pendant ce temps, Messenger avançait sur une voie triomphale dans la dynamique Australie. Rapidement, la Rugby League devenait un colosse grâce au développement du néo-rugby allié à celui des "poker machines" autrement dit des machines à sous. L'Australie, pour devenir un grand état moderne, a besoin de tous ses bras, aussi l'ouvrier australien est-il bien payé. Il mène une vie aisée et possède sans doute un des plus hauts standards de vie du monde. Dans ce pays immense, éloigné des grands courants, les distractions sont rares. C'est pourquoi l'Australie a attrapé deux passions : le sport et le jeu. Empêcher un Australien de jouer équivaudrait à priver le Français de la liberté de boire un coup quand bon lui semble, et surtout lorsqu'il n'a pas soif. De récentes statistiques ont prouvé que l'Australien était le plus grand joueur de la terre. Un proverbe dit : un Australien seul, boit de la bière, deux Australiens font un pari , trois Australiens se mettent en grève.A Sydney on tire une loterie tous les jours, on se presse aux champs de courses et au rugby. On joue sur tout : le résultat du match, le premier marqueur de chaque camp, la réussite d'un but ou le nombre officiel de spectateurs, tout est prétexte à paris. Enfin il y a les fameuses" poker machines" .Pour éviter les excès , le gouvernement ne les a autorisés que dans les clubs privés. la Rugby League Australienne , depuis sa fondation en 1907 , au retour de Dally Messenger , fut présidée , pendant cinquante-trois ans par un seul homme : Harry Flegg dit "Jersey" qui, lors de la tournée des tricolores en 1960, était encore, à quatre-vingt-sept ans, l'enfant terrible du rugby en même temps qu'un patron énergique. Dans une de nos nombreuses entrevues , "Jersey" Flegg me confia de sa voix rauque : - La Rugby Leaque , c'est ma religion! Je mourrai heureux car j'ai pris un nouveau-né et je l'ai aidé à devenir Hercule. Oui , "Jersey" Flegg est mort comblé .Il a réalisé sa destinée comme peu d'hommes ont pu le faire. Harry Flegg a toujours conduit la Rugby League avec le dynamisme des capitaines d'industrie.Lorsqu'il sut que le gouvernement de Nouvelles Galles du Sud permettait l'installation de "poker machines" dans les clubs privés ,il persuada les dirigeants de la Rugby League de bondir sur l'occasion. Ce fut la manne céleste.Une pluie de shillings s'abattit abondante, et continue sur les clubs de la Rugby League. Le siège central à Sydney est aujourd'hui d'une richesse prodigieuse. En plein coeur de la City , donnant sur les rues principales de ce petit Manhattan du Pacifique : Philip Street et Elisabeth Street, l'immeuble de la Rugby League élève ses huit étages au-dessus de quatre sous-sols. L'intérieur est ultra-moderne et renferme douze ascenseurs , un hôtel, deux théâtres, dix bars,des salons,des salles de billard, un bowling où les 7500 membres ont seuls le droit de boire, danser, assister aux spectacles, lire ,écrire, fumer, se distraire et enfin mettre leurs shillings dans l'espérance , souvent illusoire, des "poker machines". Enviant ces 7500 élus du Gotha de Sydney , des centaines d'Australiens attendent que la mort d'un des membres leur donne-droit d'entrée. Ainsi , même les lettres de faire-part sont des feuilles de revenus pour la Rugby league puisque, tandis que le disparu obtient un bail pour l'éternité , le nouvel arrivant paye cash sa concession à la bonne vie du club de la New South Wales Rugby league. Jusqu'en 1951 , quand un "kangourou" partait jouer en Europe et venait visiter la France , il avait l'habitude de toiser nos joueurs avec une certaine condescendance, d'autant plus que les tricolores n'avaient jamais réussi à les battre en match international. En 1938, à Paris et à Marseille les "Aussies" avaient gagné les deux tests : 35 à 6 pour fêter l'an neuf et 16 à 11, seize jours après, avant de s'embarquer sur les quais de la Joliette. Et poutant , c'était l'époque des Rousié , Dauger , Noguères , Chaud , Durand , Brinsolles , Brunetaud, Guiral , et autres Antoine Blain . En 1949, même tabac : 29 à 10 à Marseille pour débuter et 10 à 0 pour terminer, à Bordeaux , alors que le XIII de France s'enorgueillissait de ses Dop , Crespo , Comes , Calixte , Brousse , Martin , Beraud , Mazon , Contrastin , Caillou , Dejean et autres Bartoletti . Mais, tout de même, ces "Frenchies " avaient une chose qui devait plaire au public des antipodes: la personnalité. Alors l'Australie les invita. Les dirigeants français eurent l'audace d'accepter l'invitation australienne en payant tous leurs frais de voyage et de séjour, se contentant d'être défrayés par un pourcentage sur les recettes. Ainsi, quoi qu'il advînt, la Rugby League Australienne ne faisait pas un mauvais marché. En France , cette expédition aux antipodes,c'était la plus audacieuse des aventures jamais tentée par une équipe nationale dans n'importe quel sport. Paul Barrière et Claude Devernois avaient pris tous les risques et ils avaient trouvé, pour les partager, un homme aussi fou qu'eux, mon vieil ami, Antoine Blain , international à XV et à XIII et journaliste sportif depuis la fin de la guerre. Peut-être parce qu'il a un mélange explosif de sang basque et catalan, à moins que le "Sultan" Sebedio, son beau-père lui ait légué, en guise de dot, une part de son extraordinaire tempérament, une chose est certaine : mon ami Antoine Blain est une sorte de surhomme, curieux assemblage de force bestiale, d'humour gaulois et britannique à la fois, de vive intelligence, de dynamisme débordant et d'une incroyable puissance de travail. Avec ça, gai luron, capable de vider au choix douze pintes de bière ou deux douzaines de whiskies, et de faire en public quelques jolis tours de prestidigitation. L'on comprendra qu'Antoine Blain était bien l'homme qu'il fallait pour diriger cette expédition. Lorsque Adolphe Jauréguy le vit, avant son départ , il lui dit : - Quand je pense que tu t'embarques ainsi pour l'inconnu, je me demande si tu n'es pas fou. - Tiens , tu parles comme ma femme , lui répliqua Antoine en riant. L'expédition française s'envola de Marignane le lundi 14 mai à midi. La petite troupe était forte de 30 membres: Antoine Blain , directeur Jean Duhau et Robert Samatan , entraîneurs et 27 joueurs . Arrières : Puig-Aubert ( Carcassonne) et Maurice André( Marseille) Ailiers : Constrastin et Lespes ( Bordeaux ) Cantoni ( Toulouse) Centres : Merquey ( Marseille) Comes ( Perpignan) Caillou (Toulouse) Crespo ( Lyon ) Demis d'ouverture: Bellan ( Lyon) Galaup ( Albi) Demis de mêlée : Dop ( Marseille) Duffort ( Lyon) Troisièmes lignes : Perez ( Toulon) Calixte ( Villeneuve) Lopez(Cavaillon) Deuxièmes lignes : Brousse et Montrucolis ( Lyon ) Ponsinet ( Carcassonne) Delaye ( Marseille) Piliers : Mazon ( Carcassonne) Beraud et Rinaldi ( Marseille) Bartoletti ( Bordeaux) Talonneurs: Martin ( Carcassonne) Genoud ( Villeneuve) Audoubert(Lyon) En fait , ils ne partirent que 29 ce 14 mai à midi ,car le jeune Galaup, alors militaire, n'avait pas encore reçu sa permission. Il devait rejoindre ses camarades à Sydney une semaine après. Ce fut un départ modeste, sans ces débauches de cameras des grands adieux . Une photo, une simple photo, souvenir que l'on croyait destiné davantage à l'album de famille qu'à la postérité, et ce fut tout. Quelques semaines après , les Australiens affirmaient que nos joueurs étaient la plus grande équipe de l'histoire du néo-rugby. RUGBY CHAMPAGNE AVENTURES DANS LES MERS DU SUD UN CERTAIN PUIG-AUBERT Des rugbymen de France, en Australie, c'était un sujet de curiosité semblable à celui de l'arrivée des Persans à Versailles , au temps de Montesquieu. Avant de les exhiber devant la foule immense du Sydney Cricket Ground, on leur permit de se roder un peu par trois matches dans les Nouvelles -Galles du Sud . Les Tricolores obtinrent ainsi trois succès. Le premier confortable , à Canberra devant Monaro Division (37.12) le second , difficile à Newcasltle (12.8), le troisième enfin , pénible (26.24), face à la sélection de la Province Ouest à Forbes. Enfin, arriva le jour où le peuple de Sydney vint découvrir l'équipe de France dans le temple du Cricket Ground, aux curieuses tribunes, agrémentées de clochetons dont le style rococo témoignait de la prospérité ancestrale du Rugby à XIII sur les bords du Pacifique. Les Tricolores avaient établi leur quartier général dans le modeste Olympic Hotel, juste en face du stade, de l'autre côté de Moore Park Road, coupée en deux par une allée de palmiers. Ils avaient regardé avec étonnement le public massé dans les tribunes depuis 9 heures du matin, heure de l'ouverture des portes. Seule la tribune de 20000 places , celle des "Membres", était déserte. Les heureux possesseurs de la plaquette de métal , leur attribuant une place à vie contre quelque 200 livres , s'attardaient dans le bar qui leur était réservé sous la tribune, salle tenant du salon par la fumée et l'odeur de bière, et du hall de la gare Saint-Lazare par l'immensité. La douce bière blonde australienne coulait à flots sur le comptoir géant et les garçons étaient vraiment sous pression. Le brouhaha s'éteignit lorsque l'Equipe de France, conduite par Antoine Blain, Jean Duhau et Bob Samatan, passa devant la grande porte d'entrée pour pénétrer ,juste en façe , dans son vestiaire. C'était un curieux vestiaire, vaste, confortable. D'abord une grande pièce vitrée, avec un balcon spécial, où toute l'équipe pouvait s'asseoir pour suivre les matchs préliminaires. C'était une sorte de salon véranda pour se détendre et recevoir la presse et les officiels. Au mur, de vieilles photos encadrées: Dally Messenger " The Master", le Sydney Cricket Ground plein comme un oeuf un jour d'Australie- Angleterre. Derrière, deux vastes pièces où les joueurs se déshabillaient et se faisaient masser et, sur une sorte de plate-forme, en entresol, les douches et les bains. - Putain ! C'est mieux qu'à Carcassonne, lança Puig-Aubert, pour plaisanter. Mais l'équipe de France n'avait pas la coeur à se distraire. Ce cadre, cette foule, cette ferveur, l'ovation qui avait accueilli l'apparition des Français au balcon, tout cela était tellement inhabituel que les plus frondeurs sentaient qu'ils allaient jouer la tournée à quitte ou double. L'équipe de Sydney était aussi forte que celle d'Australie. En gagnant contre Sydney , l'équipe de France pouvait faire la conquête de tout le continent............... Etait-il capable d'un tel exploit, ce XIII de France parti sans grande cérémonie, un peu comme ces Basques désargentés émigrant dans l'espoir de faire fortune aux Amériques, Pour l'Australie, il n'y avait aucun doute : la constellation de SYDNEY gagnerait sans trop forcer son talent mais elle attendait, avec curiosité un peu amusée , l'exhibition de ces drôles de Français qui jouaient disait-on, un rugby étrange, bien éloigné du réalisme des "Kangourous". Le public du SYDNEY CRICKET GROUND n'est pas près d'oublier les débuts de ceux qu'il allait surnommer les "Impredictibles Frenchmen". Les Français avaient retenu au moins une chose dans leurs trois premiers matches : le début de partie fulgurant des Australiens. Pendant vingt minutes , ils s'élancèrent comme des déments ,percutant la défense française comme s'ils voulaient la démolir à coups de bélier. C'était une terrible épreuve de force à surmonter car ces diables de "Kangourous" ne perdaient jamais la balle. Alors il n'y avait qu'une chose à faire : laisser passer l'orage et protéger la ligne blanche avec tout son être. Les jambes, les bras , les reins faisaient mal aux Tricolores à force de plaquer. Pourtant ils serraient les dents et rien ne passait car il y avait toujours un Crespo, un Cantoni, qui, d'une détente de tout le corps, faisait basculer l'Australien qui croyait avoir transpercé la défense française. Enfin le bal des ardents s'arrêta. Sydney n'avait marqué qu'un simple but de pénalité par Bernie Purcell Dans les tribunes , le public jubilait. Il aimait cet aspect du jeu où l'homme retrouve sa férocité primitive , il se passionnait pour cet engagement physique qui est la noblesse du rugby. Sydney n'avait pas atteint son but, mais il avait sûrement amorcé son triomphe dans cette tornade qui devait laisser le XIII de France sans jambes et sans souffle avec, dans la bouche, le goût déjà amer de la défaite. Le bon peuple de Sydney applaudissait déjà le courage malheureux lorsque, soudain, il vit avec étonnement les Français qu'il croyait rompus, attaquer à la main avec un incroyable culot. La balle volait de main en main à une vitesse qui affolait les joueurs de Sydney, soudain désemparés. La Furia française emplissait à son tour le stade. Rien n'arrêtait les Tricolores dans leur démonstration .le ballon volait et il y avait toujours un joueur au maillot bleu pour continuer le mouvement. Par deux fois en quelques minutes , Genoud et Crespo fonçaient à l'essai et, à deux reprises , la foule australienne surprise, étonnée, abasourdie, voyait l"extraordinaire Puig-Aubert planter son ballon en terre sans regarder les poteaux, se retouner vers son camp et, après quelques pas d'élan, expédier d'une botte négligente l'ovale haut dans le ciel entre les deux barres. Un tel culot ,un pareil affront aux lois du rugby régnant sur le Saint Empire Britannique , c'était trop impoli pour être honnête. L'Australie qui a fait du sport son pain quotidien , ne croyait pas au miracle qu'accomplissaient sous ses yeux , dans son temple , les hommes d'Antoine Blain. Elle applaudissait car elle appréciait l'exploit mais, pour elle, le propre de l'exploit étant d'être exceptionnel, elle attendait la chute. Cette avance de 10 à 2 prise par les "impredictibles Frenchmen" avait quelque chose d'accidentel......... Têtus , sûrs de la force de leurs muscles, les Australiens reprenaient leur long travail de sape. Ils menaçaient mais ils ne pouvaient marquer, une fois encore, qu'un but qui diminuait à peine l'écart (10-4) et une nouvelle fois , l'orage australien passé , c'était encore le déferlement tricolore. Cantoni, dernier servi à l'aile gauche, allait être projeté en touche quand on le vit, dans un bond hallucinant, plonger au-dessus de trois défenseurs pour marquer l'essai en coin. Cette fois la foule croyait au miracle français et le but, réussi par notre "Pipette" , faisait exploser le stade; 15-4, c'était mieux qu'une victoire : une révélation. Mais cet essai incroyable était pour le XIII de France un cadeau empoisonné. Trop sûrs d'avoir la victoire en mains, les Tricolores la défendirent avec moins d'acharnement et ce jour-là , ils comprirent, à leurs dépens que les rugbymen d'Australie sont d'une trempe exceptionnelle. " Il faut les tuer trois fois avant d'être certains qu'ils sont morts" affirme Jean Duhau , et c'est bien vrai. Le XIII de France crut qu'il avait le droit de souffler un brin. Alors, en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, Sydney avait marqué deux essais et revenait à 15-14 . Il n'en fallait pas tant pour mettre tout un stade sur le gril. Les Australiens étaient à nouveau possédés du démon. C'est alors que le XIII de France crut bon de placer sa botte secrète, en, l'occurence celle de Pipette qui, s'avançant jusqu'aux premières lignes, balança un drop monumental. La France, menant 17-14, croyait avoir repris la victoire un instant menacée, mais les Australiens n'avaient été couchés sur le flanc que deux fois. Ils repartirent à l'assaut et les minutes devenaient longues comme des siècles. - Combien ? Combien ? hurlait "Pipette" à Jean Duhau et Bob Samatan, qui se mordaient les poings sur le bord de la touche. - Sept , six , cinq , répliquaient les entraîneurs français en ouvrant les mains pour être mieux compris. A quatre , ce fut une déchirante clameur. D'un coup de rein désespéré, l'énorme trois-quart centre, Gordon Willoughby, avait effacé l'étreinte d'un Tricolore et dévalait vers la ligne de but française. Venus en travers , Ponsinet et Puig-Aubert lui barraient le chemin , mais Willoughby jetant tout le poids de ses 95 kgs, s'affalait en coin derrière la ligne blanche .Sydney égalisait 17-17 , et le stade chavirait d'exaltation. Du bord de la touche , Bernie Purcell tentait la transformation, avec cette méticuleuse application qui caractérise les buteurs anglo-saxons en général et australiens en particulier. Dans les tribunes on pariait ferme. Sous un tel angle , le succès de Purcell était donné à 5 contre 1 . Le ballon allongé sur le sol pointait comme un obus vers les buts français. On retenait son souffle. La balle monta pour s'engouffrer en biais entre les deux poteaux :19-17! La transformation de Purcell faisait, du demi-succès arraché par Willoughby , une victoire totale pour Sydney. Le public, abasourdi par tant d'émotions, s'apprêtait à vider les gradins. Le XIII de France, rageur, tirait un baroud d'honneur..........Une fois, deux fois, l'essai, qui aurait tout renversé était manqué d'un cheveu. Là-bas, de l'autre côté de la tribune des "Membres" , le "Hill", la grande butte de terre recouverte par la marée humaine, commençait à montrer les premiers mouvements de l'agonie d'un match. Le sort en était jeté . Savourant déjà l'exploit des siens, le bon peuple de Sydney ne remarqua pas qu'au moment où la cloche sonnait, l'arbitre venait d'accorder une pénalité à la France au milieu même du terrain. Il vit bien ce drôle de petit arrière nommé Puig-Aubert s'avancer pour botter , mais il ne fit que s'amuser de cette impertinence qui sied aux causes perdues. Seuls Duhau et Samatan se mordaient les poings. " Pipette" prit le ballon d'une de ses mains étonnamment grandes pour sa taille et de l'autre il montra les poteaux. Les juges coururent à leur place . " Pipette" botta en drop avec une désinvolture qui sembla coupable à tous les connaisseurs des antipodes. Ils ne le crurent qu'un instant, le temps de voir le ballon s'élever , comme propulsé par une force surnaturelle, dans un hurlement de tout le stade. La France arrachait le match nul , l'Australie découvrait Pipette et en faisait un demi-dieu. Le lendemain de ce match grandiose , la presse australienne ensevelissait les Tricolores sous un monceau de fleurs. Dans le DAILY TELEGRAPH , Franck O'Rourke écrivait : "LA GRANDE QUESTION , POSEE AU SUJET DE LA QUALITE OU DU MANQUE DE QUALITE DE L'EQUIPE DE FRANCE QUI NOUS REND VISITE, A TROUVE UNE BELLE ET BONNE REPONSE. JAMAIS LE PUBLIC DE SYDNEY N'A ASSISTE A UN JEU A LA MAIN DE LA NATURE DE CELUI QUE LES FRANCAIS ONT DEMONTRE DANS LA PREMIERE MI-TEMPS DU MATCH D'HIER. LES SOLIDES ET RAPIDES AVANTS JOUERENT PARFAITEMENT A LA MAIN ET AMORCERENT DES MOUVEMENTS POUR DES LIGNES ARRIERES INCANDESCENTES. LA VITESSE ET L'ADRESSE AVEC LESQUELLES LES FRANCAIS SE MULTIPLIAENT HIER, N'ONT A COUP SUR JAMAIS ETE VUES ICI PRECEDEMMENT". La France était venue . On l'avait vue et elle avait convaincu. Désormais les Tricolores étaient les "Flying Frenchmen", mais au-dessus de tous, Puig-Aubert atteignait au sommet d'une gloire sur laquelle les ans ne devaient avoir aucune prise. Dans le SYDNEY MORNING HERALD , Tom Goodman le désignait comme le héros du jour: " LE BUT FABULEUX, REUSSI APRES QUE LA CLOCHE AIT RETENTI, PAR LE PETIT ARRIERE PUIG-AUBERT, A ETE LA PLUS GRANDE DES SENSATIONS D'UN MATCH EXCITANT ET AFFOLANT"........Comble de la célébrité , la publicité utilisait aussitôt la botte de notre "Pipette" national. C'est ainsi que fleurit sur tous les journaux d'Australie , un dessin où l'on voyait Puig-Aubert réussir un drop de sa propre ligne de but, tandis que les avants australiens aux trognes enluminées , levaient les bras au ciel en s"exclamant: " IL MERITE BIEN UNE K.B." la K.B. étant d'ailleurs une excellente bière : La Tooth's K.B. lager. Devenir en un jour vedette de la bière est un phénomène aussi considérable en Australie, que celui d'entrer de son vivant au musée Grevin. Précisons toutefois que la K.B. Lager n'est pour rien dans le phénomène d'embonpoint qui allait par la suite transformer Pipette en mappemonde , car il a toujours marqué une nette préférence pour le pastis. Si la K.B lager avait été à son goût , il eût peut-être accepté les propositions mirobolantes que les clubs australiens allaient lui faire mais, nous l'avons déjà dit, il préférait le pastis, boisson , qui n'a pas encore conquis les antipodes. Après leurs tonitruants débuts à Sydney , les Français étaient attendus une semaine après comme aucune équipe ne l'avait été auparavant. Vous pensez ! Des gens qui jouent au rugby en artistes , qui tournent le dos aux poteaux avant de tenter un but, qui se nourrissent de grenouilles et d'escargots, ça ne se rate pas! Le comble de la curiosité fut atteint lorsque,prenant d'assaut l'Olympic Hôtel où le XIII de France bivouaquait, la presse révéla que les Tricolores ne suivaient aucun régime, qu'ils buvaient trois à quatre verres de vin rouge par repas, qu'ils mangeaient d'énormes steacks saignants et que, pour améliorer, le terrible pilier Lolo Mazon cuisinait des canards sauvages que Martin, Dop, Comes et Contrastin abattaient au lance-pierre dans les parcs du voisinage. Constrastin effreya même notre confrère Jim Mathers du DAILY MIRROR, quand ayant englouti un bon demi de bourgogne australien , il fit claquer sa langue avec un grognement de plaisir : - Voilà qui fait du bien au ventre dit Tintin. Jim Mathers , très inquiet , alla voir Jean Duhau pour lui signaler que Contrastin allait être sûrement malade . - Il a bu un demi de rouge , dites-vous ? Bagatelle ! Chez lui à Condom , il fabrique de l'armagnac et il ne peut jamais en vendre aux clients car il consomme toute la production. Jim Mathers resta bouche-bée, convaincu que Contrastin allait faire une crise de "delirium tremens" au prochain test........il faut avoir vu un test-match à Sydney pour connaître la passion australienne pour le rugby. Cette soirée du 9 juin 1951 était tiède . A Sydney , on appelle ce début d'hiver austral" indian summer" et il est vrai que cet été indien est d'une grande douceur . Le soleil est moins fort, mais la terre qui appelle la pluie depuis cinq mois , exhale une tiédeur bienfaisante. Antoine Blain ne pouvait pas dormir. C'est toujours ainsi la veille des grands matches. Il sortit de sa chambre n°1:- celle que Jack Mason réservait aux hautes personnalités, car elle avait le privilège de posséder un lavabo particulier.Antoine vit que de l'autre côté du couloir,la chambre de Jean Duhau avait encore de la lumière. Sans doute Duhau préparait-il les maillots, car il aime bien, la veille, vérifier que chaque joueur a le bon numéro et que chaque paire de fesses dispose d'une culotte appropriée et non pas un de ces immenses flottants qui font le charme vieux-jeu des équipes anglo-saxonnes. Effectivement, Duhau comptait et recomptait ses frusques. - Alors , Jean , pas encore au lit ? - Non . Tu vois, Antoine, je passais en revue ma panoplie. Tu les connais, ces putains de gonzes, demain matin ils vont tout me mettre à sac . Moi je veux une culotte plus courte, et moi mes chaussettes sont trouées , et mon numéro est un peu déchiré. Tu sais ce que je leur ai dit à ceux qui rouspétaient samedi dernier ? - Non, dis voir. - Eh bien, je leur ai demandé qu'à l'avenir, lorsque nous serons invités à un bal, ils tâchent de trouver des "girl friends" qui sachent un peu coudre, car personnellement je n'ai pas encore découvert une femme qui veuille ravauder nos frusques. Avec ces sauvages d'Australiens qui nous déchirent tout, nous allons terminer le cul nu. Demain tu comprends, pour le premier test, j'ai voulu que nos gars soient impeccables car lorsqu'on est à l'aise dans sa tenue, on joue mieux. - Oui et on aura besoin de tous nos atouts. Vois-tu , Jean, ces "Kangourous" me font peur. Physiquement, ils sont dans l'ensemble plus forts que nous. Ils vont donc nous imposer une terrible épreuve de force. Si nous nous laissons prendre au jeu, nous sommes fichus.Nous ne tiendrons plus en deuxième mi-temps. Il faudra faire le maximum pour la conquête de la balle. C'est pourquoi nous avons préféré Genoud, meilleur talonneur, à Martin qui, lui, est peut-être supérieur dans le jeu ouvert. Dès que nous aurons la balle, il nous faudra fuir le contact et accélérer le jeu pour tenter d'essouffler, prendre de vitesse les colosses d'en face. De même , lorsque nous serons acculés sur nos buts, il sera préférable que Puig-Aubert dégage d'un de ses coups de pied rasants, dont il a le secret. Sans ces temps de répit, nos avants ne pourront pas tenir tout le match. Mais nous reparlerons de tout cela plus en détail demain matin avec Samatan et les joueurs. Je te laisse dormir. - Hypocrite! Tu sais bien que je ne dors jamais.Si parfois je ferme les yeux, c'est simplement à cause de la poussière. Et puis, la veille d'un match, je suis très énervé. C'est comme ça depuis l'âge de seize ans, lorsque j'ai débuté en première au Boucau Stade . Ce que tu veux, Antoine, c'est que je t'offre un verre en bas au bar, avant que la sonnerie de 10 heures n'annonce la clôture. Le sourire d'Antoine fut un aveu. Ils descendirent au bar.......C'est un curieux pub que celui tenu par Jack Mason, au rez-de-chaussée de l'Olympic Hotel . Une forte odeur de bière se dégage en permanence de la vaste salle. Autour d'un grand bar en fer à cheval , sont agglutinés, de l'ouverture à la clôture des portes, deux ou trois rangées de solides buveurs. Il y a là les tranquilles : ceux qui boivent seuls sans piper mot, mais qui descendent leurs sept pintes à l'heure ; il y a ceux qui aiment la compagnie et qui offrent une tournée à leurs voisins, sachant très bien que ceux-ci rendront la pareille avant que les verres soient finis. Que l'on appartienne à l'une ou l'autre des catégories, l'essentiel, comme dirait Yvan Audouard, c'est d'avoir une bonne évacuation.C'est peut-être ce qui manque à la troisième catégorie, celle des buveurs assis. J'ai toujours soupçonné les buveurs attablés sur la droite du bar, d'avoir des troubles de vessie. Ils méditent en silence devant un verre , qui n'est jamais plein et rarement vide, et ils attendent tranquillement qu'on les mette dehors lorsque retentit la sonnerie de 10 heures . Ceux-là, se sont les mauvais clients. Ils font difficilement une pinte au quart d'heure. Des constipés quoi! Et comme le pub de l'Olympic est un endroit où l'on s'amuse, il y a un vieux piano aux résonances de bastringue, devant lequel une beauté d'avant-guerre exécute , au propre et au figuré , des morceaux choisis pour leur douce fanée. C'est ainsi qu'on ne compte plus les fois où, pour plaire aux Tricolores , elle a massacré "J'attendrai", "C'est si bon"et "Sous les ponts de Paris". Le vendredi , jour de paye , la consommation de bière connaît des pointes qui obligent Jack Mason à mettre derrière la vitre de la porte d'entrée, son écriteau bordé de noir comme un faire-part de deuil:"NO BEER" Pour l'assoiffé qui touche à l'oasis , c'est un rude coup. Il pousse quelques jurons en même temps que la porte ,car l'autre pub est au diable, alors la consommation de whisky triple tout d'un coup.......Blain et Duhau, fort reconnaissables , l'un avec son blazer bleu de France, l'autre avec son éternel survêtement frappé du coq gaulois, furent aussitôt le pôle d'attraction du bar. Invités à boire et à reboire, frappés d'immenses tapes dans le dos qui se voulaient amicales, tiraillés par tous ceux qui désiraient des autographes, des insignes ou tout simplement un pronostic, le "french manager" et le "french coach" avaient bien besoin de toute la solidité de leur carcasse d'anciens joueurs de premières lignes pour tenir le coup. Antoine Blain se payait même le luxe de contre-attaquer. Il offrait sa tournée, exécutait quelques tours de passe-passe, qui faisaient éclater de grands rires sonores. En revanche , Duhau avait du mal à se dépêtrer de ses admirateurs; Il avait beau mettre en action tout son arsenal de la langue anglaise: "Tomorrow...after the game....Yes, yes, Australia very good....France good team, yes , yes. Win perhaps", rien ne pouvait briser le cercle d'admirateurs. - Nom de Dieu , je ne sais pas comment je me débrouille, mais au lieu de les écarter, je les attire. Putain de gonzes , mais ils vont finir par me déshabiller!! Jean Duhau fut ce soir-là sauvé par la sonnerie de 10 heures. Un grand balaize de 1m85 dépassant nettement le quintal et qui avait visiblement pour tâche principale de faire vider les lieux à l'aimable clientèle, lança d'une voix caverneuse en frappant dans ses mains-battoirs: " Gentlemen!! Gentlemen!!" Le propre des buveurs australiens est de faire front dignement à l'adversité et de respecter l'ordre. Les cercles se dénouèrent un à un . Les clients se perdirent dans la nuit, non sans avoir pris le soin d'emporter sous le bras une bouteille de bière, roulée discrètement dans un papier journal et achetée avant la clôture au "Bottle's departement" du pub. Blain et Duhau sortirent les derniers . Sur le pas de la porte, un étrange petit vieillard sans âge , qui avait passablement " chargé la mule " pointa son index sur la poitrine d'Antoine Blain. - "Kangaroos" strong , very strong . The best, always the best in the world . Frenchies..... Et le vieux pointa son pouce vers le sol, ce qui se passait de toute traduction. - En voilà un qui ne va pas La nuit était tiède . Sydney c'est le Casablanca des mers du Sud . Les gros palmiers de Moore Park Road bruissaient à peine sous une légère brise marine. Blain et Duhau avançaient sur le trottoir en fumant une cigarette. Du coin de la rue on pouvait voir les lumières sur Sydney, mais leurs yeux, instinctivement, se portèrent vers le Sydney Cricket Ground qui était là , en contrebas , juste de l'autre côté de la route. - Qu'est-ce que c'est que ça ? s'écria Duhau. Un gigantesque essaim de lucioles s'était-il abattu sur les gradins du Cricket Ground ? Ce fourmillement d'insectes lumineux était féerique, hallucinant. En réalité , c'était tout simplement des milliers de spectateurs qui, pour avoir de bonnes places, avaient déjà occupé les tribunes et fumaient pour tuer le temps. Jamais dans un quart de siècle de rugby international , Blain et Duhau n'avaient été témoins d'une pareille scène. C'était tellement inouï, qu'ils entrèrent dans le stade. Quelle extraordinaire veillée d'armes! A cent mètres de là, l' équipe de France dormait et, ici , c'était un colossal campement . L'ennemi avait déjà investi la place . Il attendait de pied ferme la sortie du XIII de France . Quel étrange bivouac que celui de ces quinze mille Australiens installés autour du champ clos avec leurs casse-crôute , leur bière et leur whisky! Ce spectacle avait quelque peu éteint l'enthousiasme né dans le coeur des responsables de l'équipe de France après la brillante démonstration du samedi précédent. Blain et Duhau n'échangèrent plus un mot jusqu'à l'hôtel mais ils se posaient tous les deux la même question : seuls, tout seuls , treize rugbymen de France pouvaient-ils résister à tout un peuple ? - Papers ! Papers ! Le petit crieur de journaux grimpait les deux étages de l'Olympic Hotel pour annoncer , que le jour était levé. Ce samedi 10 juin 1951 ,n'était pas un jour ordinaire, mais le grand jour, le jour J . Voilà pourquoi son appel trouva, en écho, une bordée d'injures et de jurons plus forte que d'habitude. - Papers ! Papers ! continua-t-il habitué à de semblables réceptions et, comme à l'ordinaire, il n'eut qu'un seul client . Antoine Blain qui prit les deux quotidiens du matin, le " Sydney Morning herald " et le "daily telegraph" . Tous les deux avaient fait une édition spéciale sur ce premier test Australie - France. Mais en buvant son " morning tea" Antoine fit une amère constatation : toutes les opinions étaient semblables. " LA PUISSANCE AUSTRALIENNE DOIT ECRASER EN DEUXIEME MI-TEMPS LA FANTAISIE DES ARTISTES FRANCAIS" Pauvres " Flying Frenchmen" que l'on épinglait déjà dans la riche collection internationale des invincibles " Kangourous". Ainsi suivant la tradition anglo-saxonne, on ne se fiait qu'à la rigueur des chiffres. La démonstration fabuleuse de la semaine dernière, face à Sydney, s'étant soldée par un match nul 19-19 , on oubliait la trop grande confiance et le laisser-aller des Tricolores lorsqu'ils menèrent 10-2 à la mi-temps. Pour les spécialistes , il n'y avait qu'un match nul arraché à l'ultime seconde par un but exceptionnel de Puig-Aubert. On avait, en son temps, salué la démonstration, le panache, mais comment croire qu'une équipe nationale qui ne bat pas la sélection de Sydney pourrait vaincre la grandissime équipe d'Australie ? Comment croire à cet exploit alors que, précisement , nullement habitués au rude régime d'une tournée où les matches se succèdent à un rythme élevé, les Tricolores venaient de subir ce mardi, à Albury, leur première défaite en terre australienne (10-20) devant la sélection de Riverina Division ? Sans doute l'équipe de France , conquérante le samedi à Sydney , avait déçu la mardi à Albury , mais il fallait tenir compte que les Tricolores , à l'inverse des Anglais , des Néo-Zélandais et des Australiens , n'avaient pas voulu aligner sans cesse la meilleure équipe possible. Présumant qu'à ce régime la France courrait à sa perte, Antoine Blain, Jean Duhau, et Bob Samatan avaient décidé d'aligner à Albury le minimum de joueurs appelés à disputer le premier test . C'est ainsi que, dans l'équipe de France battue par Riverina Division, on ne trouvait que deux joueurs qui allaient, quatre jours après, affronter l'Australie : Puig-Aubert et Merquey.......Antoine , accoudé à la fenêtre, regardait naître dans le petit matin la grande fête du rugby. Dans le soleil levant, les tribunes étaient déjà pleines, multicolores. Seule la grande butte du" Hill" restait verte et vide . Il est vrai que là, aux places les moins chères, on goûte les émotions des matches debout, loin du confort des fesses des bourgeois des tribunes. Alors, pour éviter que sous le soleil il y ait trop de pamoison, on n'ouvre les portes du "Hill" qu'à 9 heures, avant le coup d'envoi du premier des sept matches de lever de rideau. Près de huit heures de rugby debout, c'est assez, même pour des Australien endurcis. Aux guichets du stade on faisait la queue pour enlever des dernières places de pesage et les marchands de hot-dogs faisaient des affaires d'or. Les portes du "Hill" s'ouvrirent et, en quelques minutes, la marée humaine investit la verte colline. Tout était en place pour la grande première . Comble jusqu'à la limite fixée par la police pour éviter que les tribunes ne s'effondrent comme lors de la rencontre Australie-Grande-Bretagne en 1928, le stade contenait 70000 spectateurs payants, plus les 22000 membres à vie. L'immense terrain ovale, puisqu'il sert aussi, comme son nom l'indique pour le cricket l'été, était un peu usé au centre, mais il restait excellent. Une curieuse musique municipale à pantalons noirs , veste écarlate et casque colonial immaculé, accueillit les "Kangourous" au son de " Colonel Bogey", qui n'avait pas encore gagné son titre de rengaine en illustrant le célèbre Pont de la rivière Kwaï. Enfin les Tricolores s"égrenèrent sur la pelouse sur l'air sautillant du "French Cancan" qui, aux yeux des Anglo-Saxons en général et des Australiens en particulier, personnifie la vivacité, la gaieté, le caractère pétillant, le charme et aussi le manque de sérieux des Français. Elle n'avait pas vilaine allure cette équipe de France. En première ligne , on avait préféré la volonté rageuse de MAZON , la technique du talonnage de GENOUD et la détente de BARTOLETTI , à la puissance de Beraud , Martin et Rinaldi . La deuxième ligne BROUSSE PONSINET , c'était la clef de voûte , l'atout-maître . En troisième ligne à Perez le Gitan et à Calixte la Méthode , avait succédé un stratège, un meneur d'hommes et un distributeur de jeu qui saurait faire respecter la consigne : René DUFFORT. Le bouillant DOP avait été choisi pour la mêlée au lieu de l'impeccable Crespo. On estimait que "Fra Diavolo" avec ses cavalcades , ses déroutantes inspirations, son impertinence , était capable de mystifier les colosses australiens. A l'ouverture , on fit confiance à GALAUP, l'enfant-prodige et terrible , le benjamin des Tricolores , celui qui venait d'arriver après le gros de la troupe car il s'était aperçu, au dernier moment , qu'un militaire a besoin d'une permission , même pour aller guerroyer en Australie. L'explosif Gaston COMES et le fulgurant Jackie MERQUEY étaient plaçés au centre avec, pour ailiers , les deux plus formidables puncheurs de l'heure :CANTONI et CONTRASTIN . A l'arrière enfin le roi PIPETTE . C'était sérieux devant ; rapide, inspiré, voire fantaisiste derrière. Pourtant à la présentation , hormis Brousse et Ponsinet , cette équipe semblait être une sélection de scolaires aux côtés des énormes Australiens. Elle paraissait effectivement invincible , cette impressionnante formation australienne, avec le fameux Clive CHURCHILL à l'arrière , une ligne de trois-quarts d'armoires à glace dont le plus léger devait peser entre 85 et 90 kg avec BLISS , champion d'Australie du 100 yards et GRAVES aux ailes, WILLOUGHBY et HAZZARD au centre . Les demis ,STANMORE à l'ouverture et HOLMAN à la mêlée, formaient le meilleur tandem que l'on ait vu en Australie. Enfin devant , il y avait six gaillards du type déménageurs, avec CROCKER en troisième ligne MULLIGAN ET Brian DAVIES en deuxième ligne, Duncan HALL et DONOGHUE en piliers et un talonneur qui, répondant au nom évocateur de SCHUBERT, aimait bien " jouer de la mandoline", doux euphémisme qui , dans le monde du rugby, s'applique à ceux qui usent trop souvent de la boxe anglaise. Bref, si Hollywood avait eu besoin d'un lot de durs, il n'eût pas été déçu par les six avants Kangourous qui , en ce 10 juin 1951, s'alignaient au Sydney Cricket Ground pour défendre l'invincibilité de l'Australie....La consigne avait été une fois encore répétée aux vestiaires par Blain , Duhau et Samatan. - Serrez le jeu lorsque l'Australie aura la balle , mais dès que vous serez en possession du ballon , aérez, faites voler le ballon, prenez vos adversaires de vitesse et, surtout, n'essayez pas de percuter, de passer en force . Vous allez vous briser sur un mur et vous vous effronderez en deuxième mi-temps . L'arbitre était M. Mac Mahon, un type sévère qui, malgré son nom ,n'aimait pas que l'on jouât au petit soldat... Les Tricolores étaient donc sur leurs gardes. Les " Kangourous" partirent à l'assaut, comme prévu, avec leur tactique "bulldozer". La défense française, en bon ordre, plaquait sec et bas. Le public était parcouru de grondements qui ressemblaient à des grognements de satisfaction. Pour sûr, les "Kangourous" n'allaient pas gagner facilement . Ils devraient forcer leur talent, sortir le grand jeu car ces "Frenchies" avaient un sacré culot. Et puis , en quelques minutes - cinq exactement- se dessina le drame australien . Trois hors-jeu des " Kangourous", trois pénalités, trois buts de Puig-Aubert et la France menait 6 à 0 . C'était un coup dur pour l'honneur australien et pourtant le public ,cette admirable foule australienne , faisait une ovation à Pipette, en qui elle avait déja reconnu un être d'exception, dont elle voulait savourer tous les gestes, dussent-ils provoquer la perte de ses favoris. Six points dans la musette, le XIII de France appliquait la consigne à la lettre : prudence d'abord, culot ensuite . Alors on vit le coq français déployer ses ailes et le public du Sydney Cricket Ground lui découvrit l'envergure d'un aigle royal. La balle volait comme dans un rêve . Le jeu courait d'une aile à l'autre et les colosses australiens ne savaient plus où donner de la tête. C'était le combat renouvelé de David et de Goliath. Habiles, vifs , effrontés , Dop , Galaup , Comes et Merquey étaient rois du terrain. On ne voyait que leur tunique bleue au grand V blanc et rouge en scapulaire. Ils se faufilaient comme des lutins au travers de l'imposant rideau de vert australien. A peine une attaque venait d'être stoppée, qu'une autre éclatait vers l'aile opposée. L'inévitable arriva. Saoulés par cette fantasia , épuisés par ce rythme effréné , les "Kangourous" flanchaient. Le ballon voltigeait de main en main. Aux 50 mètres , il parvenait à Cantoni démarqué. Ivre d'espace, Cantoni fonçait .Aux 22 mètres , l'arrière australien Churchill surgissait . Le couloir se rétrécissait à vue d'oeil. Cantoni allait-il être bousculé en touche ? Non ! D'un coup de rein, l'ailier tricolore s'arrachait, passait et plongeait victorieux près du drapeau de touche . Puig-Aubert, l'infaillible, réussissait la difficile transformation du bord du terrain et la France menait 11 à 0 . Les Tricolores jaillissaient de partout et, deux minutes après l'exploit de Cantoni , c'était le pilier Lolo Mazon qui perçait et servait Contrastin. Crâne tondu, solidement bâti, n'aimant pas les fioritures, ayant retenu les leçons de Jean Duhau que le but du rugby est de porter le ballon derrière la ligne blanche adverse et que le plus court chemin d'un point à un autre est la ligne droite, Contrastin fonça. Bliss, son vis-à-vis , se précipita pour lui barrer le chemin mais, de son fameux raffut en manchette, "Tintin" l'envoya bouler à quatre mètres et, la balle toujours collée au flanc, il fonça encore devant lui. Qui pouvait arrêter Raymond Contrastin en ce moment précis?. Une fois encore , Churchill tenta de réussir sur notre Bordelais ce qui avait échoué sur Cantoni. Avec Holman venu à la rescousse, ils essayèrent de coincer Contrastin, mais ce fut soudain une formidable explosion dans le stade. L'Australie aime la force pure , la décision , et "Tintin" venait d'en fournir un merveilleux exemple. Alors que Churchill et Holman se jetaient sur lui, à deux ou trois mètres de la ligne blanche, il les percutait carrément . Tandis que Contrastin plantait l'essai en coin , Churchill mordait la poussière et l'infortuné Holman gisait les quatre fers en l'air. Le stade croulait, enflammé par la réussite de Contrastin qui traduisait la remarquable partie collective de l'équipe. Le public, émerveillé par le jeu des Tricolores , avait oublié que cet essai et la nouvelle transformation de Puig-Aubert achevaient de ruiner les espérances des "Kangourous" Seize à zéro! Jamais l'équipe d'Australie n'avait été pareillement humiliée et pourtant la foule australienne applaudissait, elle applaudissait la grandeur de l'exploit. Ce jour-là, le public du Sydnet Cricket Ground donna au monde l'exemple même de la plus pure sportivité. Encore retourné par la prodigieuse démonstration du XIII de France, c'est à peine si ce public prit garde au fait que, juste avant la mi-temps, l'ailier Graves par un but de pénalité , avait réduit le score à 16-2. Les Français sortirent du stade baissant la tête sous une pluie d'applaudissements. Dans les tribunes, des spectateurs se dressaient sur leur banc et hurlaient " VIVE LA FRANCE !". Au vestiaire , les remplaçants embrassaient les héros de jour . Perez serrait son ami Dop . Crespo étreignait Puig-Aubert, le masseur Bill Moore avait du mal à coller un bout de sparadrap à Mazon. Bref c'était l'euphorie la plus complète. Mais en Australie , il faut craindre les boomerangs . Ils reviennent presque toujours et les joueurs australiens sont un peu comme cette curieuse arme des aborigènes. On les croit perdus et, tout à coup , ils vous arrivent en pleine figure. Blain , Duhau et Samatan redoutaient cette euphorie française comme la peste. - C'est presque dommage que nos gars aient tant dominé. Ils sont capables de tout perdre parce qu'ils croient avoir tout gagné, disait Jean Duhau. Les trois responsables tentèrent de refroidir cet enthousiasme prématuré. - Méfiez-vous du début de cette deuxième mi-temps , leur dit Antoine Blain.Vous êtes trop décontractés, alors que les Australiens vont entrer avec la volonté de remonter le courant, de sauver l'honneur, de gagner. Attention à cette reprise, ne perdez pas les pédales, les enfants. Lorsqu'on se sent invincible, tout conseil de prudence devient racontar de bonne femme....Jouant le lièvre de la fable , le XIII de France laissa parler sa fantaisie. *La surveillance se relâcha et , en quelques minutes, le boomerang australien vint frapper un grand coup derrière les oreilles tricolores. Il avait bien raison , Duhau , lorsqu'il affirmait que ces "Kangourous" il fallait les tuer trois fois . Coup sur coup, le centre Willoughby, le troisième ligne Crocker et l'ailier Graves allaient à l'essai et comme ce dernier avait réussi deux transformations , l'Australie revenait à un tout petit point de la France 16-15 et, avec ça , le vent en poupe et tout un stade qui délirait de joie de résurrection des siens. Dans la tribune officielle , Antoine Blain n'avait plus un poil de sec. Perdre un tel match pour avoir cru trop vite au triomphe , c'était trop bête. Sur la touche, Duhau et Samatan donnèrent quelques coups de gueule pour fustiger leurs hommes. L'alerte était chaude, l'atmosphère étouffante. Les Tricolores dégrisés ,serraient le jeu, plaquaient à nouveau à tour de bras. Duffort hurlait ses ordres et chacun restait à son poste , comprenant que tout était à recommencer . Ce furent des minutes interminables. Les "Kangourous" avaient la balle et attaquaient comme des forcenés mais la défense héroïque des Français tenaient bon . Tout un peuple encourageait treize démons, mais les Tricolores s'accrochaient dans la tempête. Et puis , la fatigue alourdit les jambes des Australiens, ils cédèrent du terrain. Le fauve faiblissait, mais il n'était pas encore maîtrisé . Il fallait une bonne balle pour relancer l'équipe de France. Elle vint, enfin, à vingt minutes du coup de sifflet final. Un dégagement en touche, manqué par l'ouvreur Stanmore , fut cueilli au rebond par Dop qui se lança dans son numéro des grands jours. Il partait à gauche, revenait à droite , crochetait l'un, mystifiait l'autre. Un, deux ,trois Australiens en voulant le plaquer, s'affalèrent dans l'herbe. Dop était un insaisissable farfadet qui affolait toute l'équipe d'Australie. Son numéro acrobatique fut le point de départ d'un nouveau festival tricolore . Soudain , les rôles étaient renversés. Les Français dominaient à nouveau de la tête et des épaules. Les avants, n'observant plus la consigne de la prudence, s'offraient le luxe de bousculer en force les colosses australiens. Lolo Mazon, notre cher "grand-père Taillefer", était un homme en colère, furieux contre lui-même de s'être laissé aller à se prélasser, contre le destin trop clément en première mi-temps et bien sévère après les citrons, enfin contre ces Australiens qui avaient la tronche presque aussi dure que lui .D'ordinaire Lolo Mazon n'est pas ce que l'on peut appeler un Adonis . D'ailleurs il ne cachait pas son opinion à François Rinaldi, sosie de Burt Lancaster , et qu'il trouvait trop beau pour être en première ligne. - Un beau pilier n'a jamais été un bon pilier , lui disait-il. Pour être en première ligne , il faut être laid , laid comme un pou. A ce moment-là , le visage transfiguré par le rictus de la volonté , Lolo était laid, si laid , que c'en était une superbe laideur. Sparadrap autour du front, cheveux en bataille, nez sanglant et maillot tombant par-dessus sa culotte, il avait la beauté sauvage d'Attila. Mazon, c'était le fléau des Kangourous qui réfléchissaient à deux fois et fermaient les yeux avant de le plaquer, et encore fallait-il qu'ils vinssent à deux ou trois pour le maîtriser. Et Mazon, n'était pas seul à faire trembler les Australiens. Il y avait Bartoletti le Terrible qui traversait la défense adverse comme un Icon_boulet, en se lançant au-dessous des grands bras ennemis qui se refermaient sur le vide et le désespoir. On trouvait encore à la pointe du combat notre formidable deuxième ligne,celle dont on parle encore avec respect de Perth à Sydney: Brousse et Ponsinet. Brousse le géant, magnifique athlète hors du commun qui, avec ses 1m90 et ses 100 kilos, s'offrait le luxe de rattraper les ailiers à la course, et Ponsinet, l'un des athlètes les plus étonnants que l'on ait vus dans le monde du rugby, qui déchirait un jeu de cartes comme un simple ticket de métro. Enfin à la barre, René la Science , alias Duffort, gueulard, cabochard, mais le meilleur stratège de la Ligue. En rugby, le pack, c'est le bâtiment. Quand il va, tout va, or ces six gaillards-là crachaient le feu. Alors vous pensez nos polissons de l'arrière en faisaient voir de toutes les couleurs aux verts Australiens. Cette fin de match des Tricolores , on m'en a parlé dix ans après en Australie avec dans la bouche tous les superlatifs de la langue anglaise qui en est fort bien pourvue. Pendant un quart d'heure , le XIII de France créa un super-rugby, un jeu de rêve où nos artistes des lignes arrières se montrèrent d'une race supérieure. Lentement, comme distillant son effet , la France arriva au terme de la FAENA. Le fauve étant maté , l'heure de vérité sonna. La pendule du Sydney Cricket Ground marquait 4 heures, juste 4 heures du soir et, comme dirait Lorca " la mort avait déjà pondu ses oeufs dans la blessure". Comme dans le ballet tragique de la corrida , l'estocade eut lieu sur la charge du désespoir. Ultime assaut de la bête blessée qui serra la France sur la barricade. Dans une détente sublime, Comes cueillit la balle au vol et s'enfonça, droit comme une épée, dans le berceau de la défense adverse. Cantoni poursuivit, en flèche, jusqu'au coeur. L'Australie tombait sur le flanc. La France avait achevé sa victoire, mais elle voulait un triomphe. Alors elle ajouta, pour sa gloire, un but de Puig-Aubert et un essai de Genoud, transformé encore par Pipette. Le stade croulait sous un tonnerre d'exaltation. Première victoire de la France sur l'Australie et cela dans le temple même du colosse kangourou. C'était, mieux qu'un succès, une révélation. Celle des joueurs de France que l'on ne croyait ni meilleurs ni pires que le commun des internationaux et qui étaient, en fait, une super-équipe. Pour l'Australie aussi ce fut une découverte : celle d'un rugby d'une dimension ignorée. Dans le vestiaire français toutes les personnalités étaient là , portant leur hommage aux nouveaux rois de l'ovale et tous disaient la même chose à Antoine Blain :- Nous prétendions connaître le rugby, mais la FRANCE nous a apporté le " RUGBY-CHAMPAGNE". Aussitôt les Tricolores furent gratifiés de cette appellation. Et le DR Ewatt, ministre de la justice affirmait :"Le Rugby- champagne des Français a plus fait pour la gloire de la France que tous les efforts des ambassadeurs de la République depuis le début du siècle". Il est vrai que ce style noble, fort, pétillant, ce triomphe, fut une bombe dont les éclats atteignirent les régions les plus isolées de l'immense continent. George Crawford résuma l'opinion australienne en titrant en lettres d'affiches dans le "Daily telegraph" :" AUSTRALIA OUTCLASSED" et en écrivant :" Les Français ont surexcité la foule en construisant le plus spectaculaire rugby que l'on ait jamais vu au Sydney Cricket Ground." RUGBY CHAMPAGNE QUAND LA TOURNEE DEVINT CROISADE. Vainqueurs d'une bataille , les Tricolores étaient pourtant loin d'avoir remporté leur première croisade aux antipodes. Les Français ,n'étant plus d'aimables touristes, mais des super-champions, tous les futurs adversaires du XIII de France voulurent vaincre ceux que l'on présentait comme étant invincibles. A partir de cet instant, l'équipe de France dut lutter à mort pour tenter de battre chaque sélection régionale qui jouait le match de sa vie pour réaliser ce qu'elle croyait être un exploit historique. Si les Tricolores ne s'en doutaient pas, ils le comprirent bien vite, plus précisément le mardi 13 juin , trois jours après le mémorable premier test. Par une ironie du sort, c'est à Armidale, au nord de Sydney, derrière les Montagnes Bleues, l'un des endroits les plus froids d'Australie à cause de l'altitude que la fièvre monta. Malgré un arbitrage à sens unique pour l'équipe locale ( cela existe en Australie comme ailleurs), la France battait la Division Nord avec la marge confortable de 29 à 12 . Delaye, Crespo, Rinaldi, Lespes, Lopez et Brousse par deux fois, avaient entassé sept essais, alors que la Province Nord n'avait pu marquer que six buts de son arrière Frathe, grâce aux pénalités généreuses distribuées par l'arbitre . A la fin du match , les joueurs locaux ayant mal digéré cette humiliation " ouvrirent la boîte à gifles". Dans cette distribution générale de "pain béni", les Tricolores n'étant pas des anges de miséricorde, ne laissèrent point passer leur part. Bref, les torts étaient partagés et, à quelques minutes de la fin, il expulsa Audoubert pour "attitude incorrecte envers un adversaire". En fait, Audoubert ,bien que natif de Saint-Girons, devait son surnom de "Monseigneur" à son embonpoint épiscopal et non pas à une quelconque grâce angélique ; si on lui flanquait une "pigne"sur la joue gauche , il avait l'habitude d'en rendre deux. "Monseigneur" , donc, fut mis à la porte par un arbitre, pas très catholique. Peu après, Caillou , le capitaine de la tournée, eut le cuir chevelu profondément entaillé par une godasse australienne .Delaye vola à son secours et comme notre "King Kong" accusait déjà 110 kilos, son atterrissage sur le dos de l'Australien coupable eut pour effet de l'étendre, les bras en croix , avec plus que son compte. Delaye fut prié illico d'aller rejoindre Audoubert aux vestiaires. Le coup de sifflet final donna le signal d'une bagarre générale. Assurément le quartier n'était pas sûr et les spectateurs, 6000 environ, envahirent le terrain pour sauver ce qu'il restait des joueurs de la Province Nord, tandis que la police ramenait les Tricolores dans le chemin de la légalité et des vestiaires.......... le QUEENSLAND c'est, en Australie, l'état du gigantisme. Tout est immense dans ce pays essentiellement agricole. Tout d'abord, l'état lui même, aussi étendu que la France, l'Angleterre, l'Allemagne et l'Italie réunies. Du nord de Sydney jusqu'à la presqu'île du cap York, au sud de la Nouvelle-Guinée , il y a plus de 2000 kilomètres et presque autant du Pacifique au désert central. Sur cette immense superficie , à peine deux millions d'habitants dont 600.000 vivent dans la seule agglomération de Brisbane qui tire orgueil d'être en étendue, la seconde ville du monde après Los-Angeles. Admirez le " sunny Queensland" , la Californie de l'hémisphère sud, ses plages ensoleillées, réputées, sophistiquées, dévorées de modernisme de mauvais goût et de néon, Surfer Paradise et ses légions de filles, belles à damner et bêtes à pleurer. Voyez la grande Barrière de Corail qui, de Bundaberg au Cap York , égrène son prodigieux chapelet d'îlots , d'atolls et de récifs, sur près de 3000 kilomètres. Parcourez les plantations de canne à sucre , d'ananas et de toute la gamme de fruits tropicaux. Chassez le crocodile et initiez-vous au lancement du boomerang avec les derniers aborigènes du nord. Visitez dans le sud , des fermes grandes comme des départements français. Ne tuez pas bêtement ces gentils kangourous qui viendront par centaines bloquer la route. Ne vous étonnez pas si on vend les moutons à la minute , en les faisant passer par un portillon, et non pas à la pièce. Enfin, si le Queensland est le pays aux 200 millions de moutons , les Queenslanders ne sont pas des doux agneaux et surtout pas sur un terrain de rugby. Les Tricolores ne furent pas longs à s'en rendre compte......La prise de contact eut lieu dès l'arrivée à Brisbane, à Gabba Park , avec l'équipe représentative du Queensland. Les sélectionneurs du Queensland avaient fait bon poids . Rien que des malabars : Duncan Hall, Brian Davies, Alan Thompson, Mick Crocker devant. Mc Caffery , Flannery et Hazzard derrière en particulier . Et avec ça, un vent comme on en voit rarement. - Un vrai mistral ! jurait Rinaldi le Marseillais. Mais c'était un mistral traître qui soufflait en tornade pour le Queensland. Le moindre coup de pied rachitique et le ballon filait comme un obus vers les buts français . Non content de cela, il empêchait les Tricolores de faire une passe correcte . Il époumonait nos avants et là-bas, loin derrière, le pauvre Puig-Aubert, qui s'est toujours contenté d'un tour de terrain à l'entraînement, était asphyxié, galopant aux quatre vents à la recherche des ballons perdus. Pour arranger le tout, les avants français pliaient sous la rafale. Inutile de dire que cette méchante trombe devint rapidement le vent de la défaite. Les Queenslanders , solidement installés dans le lit du vent , accumulaient les points avec une impitoyable application. Pauvres " flying Frenchmen"! Ils encaissaient tour à tour deux buts de pénalité de l'arrière Linde , puis un essai du solide ailier McGovern transformé par Linde et encore un essai sur l'autre aile par le non moins athlétique Flannery. C'était une bonne entrée en matière . Peu après, le demi d'ouverture Mc Caffery marquait à nouveau un essai transformé par Linde . Enfin juste avant la mi-temps un essai-massue de l'impétueux troisième ligne Crocker portait l'avance du Queensland à 20-0! Dans le stade, c'était du délire . Comme leitmotiv lancinant, les spectateurs des populaires n'avaient cessé de lancer leur traditionnel"Come on , Queensland" et les combattants au maillot grenat avaient répondu à l'appel des leurs. Ils avaient ravagé l'équipe de France . Cette fois la victoire australienne était là ,évidente , monumentale: 20 à 0 ! Jamais dans l'histoire du rugby, pourtant riche en renversements , une équipe menée par un tel écart dans un match international n'avait réussi à changer le cours de la défaite amorcée. Avec la mi-temps, le vent changea de camp et le combat changea d'âme. Mais était-ce possible de remonter un tel handicap devant cette équipe du Queensland qui, bien que dominée, défendait avec férocité son imposant capital-points? Les témoins de ce match fameux ne comprirent pas tout de suite la folle audace de l'équipe de France. Deux pénalités pour la France et Puig-Aubert, des 50 mètres, sans bavures expédiaient deux tirs canons qui devenaient deux buts. Le Queensland menait encore 20 à 4 et le public applaudit chaleureusement le soliste pour ce sensationnel doublé, mais un peu comme on salue les derniers efforts du boxeur expédié à terre qui se relève et place une bonne droite. le Queensland se portait encore comme un litre , après ce une-deux à la face . Ses trois-quarts se payaient même le luxe d'attaquer à la main. Soudain, ce fut un hurlement de géant. Aux 30 mètres français entre le grand Mc Caffery et l'énorme Hazzard, Crespo avait bondi comme un chat, intercepté la passe et le centre français filait, irrésistible, entre les poteaux . Pipette faisait la transformation et alors qu'il restait encore une demi-heure de jeu, le public qui emplissait Gabba Park retrouvait le XIII de France à 20 à 9 . Les gradins furent parcourus d'un frémissement , celui des réflexions nées de ce contre monumental à la pointe du menton. L'un disait en hochant la tête ; "Hé! Hé! Avec ces diables de Frenchies, sait-on jamais?... " Et son voisin répliquait : "Allons Johnny, soyons sérieux! il faut qu'ils marquent encore trois essais comme celui-là pour gagner et je ne crois pas que nos gars les laisseront faire longtemps."......Ce doute , qui avait un instant germé dans l'esprit de ceux qui croient toujours à l'impossible, s'éteignit rapidement car Linde réussit un but difficile contre le vent qui portait l'avance du Queensland à 22-9. Le stade fut encore parcouru d'un frémissement, mais cette fois, c'était la satisfaction de voir le danger écarté. - Je vous l'avais bien dit, Johny, nous avons la meilleure équipe d'Australie. Le brave témoin de cette rencontre historique aurait eu raison si le Queensland avait rencontré en ce samedi 16 juin 1951 la Nouvelle-Zélande ou l'Australie, mais pas la France. Ces diables de Français étaient bien les envoyés de Lucifer. Le but de Linde était à peine porté au tableau d'affichage, que Contrastin piquait une crise. Près de ses buts , il envoyait Mc Govern bouler sur le gazon et traversait tout le terrain . De l'autre aile surgissait son compère Cantoni qui, servi près des buts, marquait en bonne position . Puig-Aubert venait d'accomplir la formalité de la transformation et les Tricolores n'étaient plus qu'à 8 points du Queensland : 22 à 14 . Encore un but de pénalité de Puig-Aubert et l'écart rétrécissait encore 22 à 16 . Ah ! cette fois, l'agitation qui s'installait dans les tribunes n'était plus celle de la jubilation . Le doute avait grandi au point de devenir une angoisse collective. Chaque départ des Français faisait jaillir un cri .Pauvres supporters , quelle inconfortable fin de match ils ont vécue! Merquey perçait avec sa souveraine aisance, avec ce don du double démarrage en pleine course et servait Contrastin à l'aile. "Tintin" fonçait. Le stade s'était soulevé, inquiet . Davies allait le pousser en touche, quand le puncher de Condom redonna à Genoud à l'intérieur . Ce dernier, serré de près par Linde qui arrivait de travers, plonga en coin. Mais nous l'avons dit, le vent était l'allié du Queensland ce jour-là. Puig-Aubert botta et la rafale détourna le tir. Il ne restait que cinq minutes à jouer . Le Queensland s'accrochait à son avance qui fondait comme un morceau de beurre dans une poêle à frire. Tenir, tenir à tout prix avec 22 à 19 à leur actif, tel était alors le seul espoir des Queenslanders . Pour les Français, au contraire, il fallait tout risquer; Ainsi , vit-on, à deux minutes de la fin, Puig-Aubert contre-attaquer . en deux changements de pied , il mit dans le vent Hall et Thompson , les deux piliers type coffre-fort et Pipette lança à Merquey. Une fois , encore "jackie" fusa au travers de la défense et servit Contrastin sur la ligne médiane. Dernière attaque , dernière charge , derniers espoirs , la foule hurlait, comme si les cris avaient pu freiner Contrastin ou projeter Linde dans ses jambes . Linde était battu et, un mur en belles et bonnes pierres du Queensland se fût-il dressé pour protéger la ligne de but ,que "Tintin" l'eût traversé comme un de ces cercles de papier que l'on met dans les cirques, sous le nez des fauves, pour qu'ils les crèvent d'un bond. Linde était battu mais il s'accrochait dans la foulée de Contrastin. La foule surexcitée hurlait et Linde poursuivait , têtu , pour empêcher Tintin d'aller sous les poteaux. Constrastin s'écroula effectivement en coin. Puig-Aubert s'appliqua, botta. A nouveau, la rafale détourna le coup de pied qui devait assurer la victoire de la France. Le vent était bien ce jour-là l'allié du Queensland mais ni lui , ni les terribles Queenslanders n'avaient pu empêcher ces diables de Français de réussir la plus incroyable des remontées de l'histoire. Etre menés 20 à 0 à la mi-temps et réussir le match-nul 22-22, impossible n'était vraiment plus un mot français. Le soir même , le "Brisbane Telegraph" titrait sur toute sa première page: " L'ECLAT FRANCAIS SUPERIEUR , DANS LA DELIRANTE FIN D'UN EXCITANT MATCH NUL." ........En attendant le deuxième test , le XIII de France avait deux semaines devant lui et deux matches à disputer dans la zone tropicale du nord Queensland. Ils eurent lieu à Townsville , bien au-dessus du Tropique du Capricorne , le 24 juin contre la sélection de "Nord Queensland" et à Bundaberg le 27 juin, trois jours avant le deuxième test contre la sélection de Wide Bay. Ce séjour fut une véritable détente pour les Tricolores . Baignades dans la tiède mer de Corail ,visites de plantations d'ananas , de paw paw , d'avocats , de canne à sucre. Le XIII de France prenait des vacances. Une vie paradisiaque , que ne virent même pas troubler les deux rencontres. L'équipe tournait alors à un tel régime que, par deux fois, elle obtint un triomphe. Le "Nord Queensland" passait pour une terreur car l'année précédente il avait tenu tête à la Grande-Bretagne . Ce fut une réputation de courte durée . A la mi-temps le XIII de France menait 26 à 2 et en fin de compte , sans trop forcer son talent , il gagnait par 50 à 17 . Les Tricolores entassaient douze essais : Contrastin trois , Cantoni et Montrucolis une paire chacun , enfin Comes , Crespo , Galaup ,Bartoletti et Ponsinet un par personne. Puig-Aubert ne s'appliquant guère , ne réussit que six transformations , laissant botter aussi son ami Comes qui ajouta un but de pénalité. Trois jours, après à Bundaberg , ce fut sensiblement la même chose, bien que les joueurs choisis pour le fameux deuxième test aient été mis au repos. C'est ainsi qu'avec Montrucolis centre et Galaup arrière , la France dominait de la tête des épaules et de tout le buste. On voyait même Dop qui s'était blessé à l'entraînement une semaine auparavant , se déchaîner. Notre Fra Diavolo se trouvait à la base des dix essais qui allaient être marqués: trois par Maurice Andre, deux par Martin et un par Bellan, Caillou, Rinaldi, Audoubert et Jean Dop lui-même. Caillou réssissant sept transformations , la France gagnait par 44 à 19 . Prés de 100 points en deux rencontres, un climat euphorique, c'était beau , beaucoup trop beau , car il n'est rien de pire pour une équipe de rugby , que la confiance. Dop et Brousse étant prêts, Antoine Blain, Jean Duhau et Bob Samatan tombaient d'accord pour présenter pour le deuxième test la même équipe qui avait fait sensation à Sydney au premier test, avec une retouche : Crespo qui avait affirmé sa meilleure forme, serait introduit dans l'équipe au poste de trois-quarts centre , faisant monter Merquey à l'ouverture à la place de Galaup.Le XIII de France qui pénétra le 30 juin dans l'arène de Gabba Park avait donc la formation suivante :Arrière Puig-Aubert ( capitaine) trois quarts : Constrastin Crespo Comes , Cantoni ; ouverture Merquey ; mêlée : Dop , Troisième ligne : Duffort Deuxième ligne : Brousse- Ponsinet première ligne : Mazon-Genoud-Bartoletti. Il y avait réllement une ambiance enfiévrée de corrida. Gabba Park ne put contenir, ce jour-là , les milliers de supporters venus souvent en camions , la nuit de 400 à 500 kilomètres dans la brousse. Les réformes apportées par les sélectionneurs avaient été radicales. Dans la ligne de trois-quarts, seul subsistait l'impressionnant centre de 90 kilos, Hazzard, bâti dans le chêne le plus dur. Les ailiers Graves et Bliss avaient cédé leur place au grand et athlétique Flannery et au petit et vif Pidding , le meilleur buteur du moment par surcroît. Au centre le grand Willoughgby, massacré par les placages percutants de Hazzard dans le match inter-états Queensland-Nouvelle Galles du Sud, était remplacé par l'élégant Geelan. Enfin et surtout , les sélectionneurs comptaient sur leur nouvelle premiére ligne de choc avec Duncan Hall associé comme pilier à un autre Queenslander , le rude Alan Thompson , et Hammerton prenant au talonnage la place de Schubert. Les sélectionneurs n'aimaient plus Schubert , ce qui n'était pas du goût de tous les supporters des "Kangourous". Dans l'ensemble donc, une équipe encore plus rude encore qu'au premier test était animée d'un immense désir de revanche , sous les encouragements d'une foule venue là avec l'espoir, non dissimulé, de voir la renaissance du colosse australien. Cette ambiance oppressante ne pouvait convenir à un grand rugby . Les Australiens monopolisaient le ballon , imposaient un jeu médiocre mais aucun des vastes mouvements qui avait chavirer la foule de Sydney au premier test, ne pouvait se développer. Avertis du danger représenté par le génie offensif du XIII de France , les "Kangourous" étaient prudents comme des chats .Pendant une demi-heure , on plaqua à tour de bras avec une rare violence, comme des sourds qui ne veulent rien entendre et, si la France menait 6 à 4, c'est que la botte de Puig-Aubert était plus précise que celle de Pidding . Les Tricolores eurent le tort de croire que la victoire se dessinait alors . Ils prirent une confiance bien hâtive et, comme les Kangourous étaient toujours habités d'une furieuse envie de revanche , ces derniers marquèrent par deux fois avant la mi-temps. Tout d'abord ce fut le massif deuxième ligne Drew qui forçait le barrage français dressé sur la ligne des 22 mètres australiens. Le pilier Thompson continuait le mouvement, poursuivi dans le camp français par l'arrière Churchill intercalé, et le demi de mêlée Holman ,remarquablement opportuniste , surgissait pour marquer entre les poteaux. La transformation de Pidding permettait à l'Australie de mener 9 à 6 . Cinq minutes après ce coup dur , le XII de France devait recevoir un autre coup de massue . Sur une attaque classique , Flannery s'échappait le long de la touche , servait son troisième ligne , le blond et costaud Crocker qui avait suivi . Crocker repoussait un placage, donnait à Hall , ce dernier chargeait comme un buffle , il passait tout de même à Flannery qui marquait en coin. AUSTRALIE 12 FRANCE 6, indiquait le tableau d'affichage à la fin de la première mi-temps......Le match n'était cependant pas joué et les "Kangourous " habitués aux formidables retours des Français en deuxiéme mi-temps, furent bien inspirés en abordant la reprise avec la même prudence qu'au début. Le jeu stagnait dans les corps à corps . Il y eut des échanges assez rudes. Plusieurs nez virent un poing vengeur s'abattre sur eux sans crier gare et sans que l'on pût connaître leur propriétaire. M. Mac Mahon, venu là pour diriger une partie de rugby , ne savait pas trop ce qu'il devait faire devant ces rounds de boxe qui s'improvisaient au gré de la mauvaise humeur des antagonistes. Tom Mac Mahon était emporté par le courant pervers . Il eut beau arroser le match de pénalités, la douche était insuffisante pour calmer les esprits surchauffés. Au milieu des bagarres , explications et autres règlements de comptes , Merquey s'échappa et les Australiens s'aperçurent avec effroi qu'il avait le ballon. Vif-argent , Jackie filait comme un voleur et alors que l'énorme Drew se dressait sur sa route , il passa prestement à Cantoni . Un coup de reins et Cantoni effaçait Drew de sa route . Il restait encore Churchill qui nourrissait une profonde inimitié pour Cantoni , celui-ci ayant eu l'occasion de l'humilier à plusieurs reprises . Churchill, rageur, monta sur Cantoni mais Vincent tapa vers l'intérieur du terrain un petit coup de pied astucieux. Le ballon roula dans l'en-but australien où Merquey toucha le premier. Puig-Aubert transformait aisèment et l'Australie ne menait plus que 12 à 11 . Les infirmiers ne chômaient pas sur le bord de la touche . Dans les tribunes les femmes avaient des crises d'hystérie , le public hurlait son mécontentement chaque fois que ce brave M.Mac Mahon pénalisait un Kangourou . Nous étions loin de la ferveur de Sydney. Dans ces minutes de surexcitation , on put en particulier apprécier le punch du demi de mêlée français , le petit et turbulent Jean Dop , qui, d'un terrible crochet du droit au menton , mit proprement K.O , le solide talonneur Hammerston... Mais deux pénalités contre Dop permirent à Pidding d'inscrire deux buts qui sortaient l'Australie d'un mauvais pas(16-11) Deux, trois fois , Merquey et Comes faillirent marquer mais il y avait trop de passions exacerbées sur le terrain et dans les tribunes , pour que les attaques à la main puissent se développer et aboutir . Et comme le temps ne suspendait pas son vol , la défaite du XIII de France se précisait de minute en minute. Elle fut inévitable à dix minutes de la fin. Le grand deuxième ligne français , le bon géant Elie Brousse , celui que l'Australie avait surnommé le "Tigre de Sydney" , avait une terrible griffe. Il ne plaquait pas , il abattait sur l'épaule de son adversaire une patte formidable et l'infortuné pris au passage , voyait ses genoux plier sous l'intenable pression . Il s'écroulait aux pieds de notre catalan quand il n'était pas envoyé à 4 ou 5 mètres. Hazzard , l'un des plus étonnants centres que nous ayons jamais vus, avec ses 90 kilos , des cuisses et des bras de leveur de fonte, allait échapper au sort commun. La griffe d'Elie Brousse ne l'abattit pas du premier coup .Alors le Superman du XIII de France le saisit à bras-le-corps pour l'envoyer bouler dans le gazon . Pareille humiliation n'était jamais survenue à l'attaquant de choc qui se rébiffa violemment sous l'outrage. Les deux hommes commençaient un round de boxe passionnant quand M.Mac Mahon les envoya aux vestiaires où ils eurent le temps de conjuguer le verbe " Je ne dois pas frapper un adversaire...sous les yeux de l'arbitre..." Le départ de Brousse fut beaucoup plus sensible dans la tenue de l'équipe de France, que celui de Hazzard pour l'Australie. Sans le grand Elie , le pack tricolore fut dominé . A trois minutes de la fin , sur un coup de pied à suivre de demi de mêlée Holman, l'impressionnant pilier Duncan Hall marquait en force et en bonne position, un essai très contesté par l'équipe de France pour hors-jeu. L'essait fut accordé et la transformation réussie par Pidding, ruinait les derniers espoirs de la France . Un superbe drop, des 50 mètres , par l'arrière Churchill , juste avant le coup de sifflet final, consacrait la victoire de l'Australie par le score net de 23 à 11. Ainsi donc, l'ambiance fiévreuse de Gabba Park avait été fatale aux Français. Une atmosphère qui détraqua la belle assurance du XIII de France et qui galvanisa une excellente équipe d'Australie. La presse Australienne , qui avait reconnu la supériorité territoriale du XIII de France , ne s'enthousiasmait pas outre mesure sur cette revanche des "Kangourous": " Ce fut le plus sale match international depuis la fameuse bataille de Brisbane en 1932 contre la Grande-Bretagne" écrivait Jim Mathers dans le "Daily Mirror" Puig-Aubert, écoeuré , déclarait au "Sun" : "Les Australiens jouent l'homme et non la balle, ils nous plaquent sans ballon .D'ailleurs il faut qu'ils aient commis une bonne dose d'irrégularités pour que M.Mac Mahon, malgré l'hostilité de la foule, n'ait pas hésité en deuxième mi-temps à punir onze fois l'Australie alors que la France n'était pénalisée qu'à six reprises" Harry Jeffries traduisait parfaitement cette ambiance très spéciale de la bataille de Gabba Park en ouvrant ainsi la une du "Brisbane Telegraph": "l'Australie a gagné après des scènes sauvages" et il commençait ainsi son article :" Les femmes hurlaient d'hystérie , un joueur français pleurait entre les poteaux et la foule rugissait, applaudissait, jubilait et jetait des papiers quand Duncan Hall , fracassant la défense française, riva la victoire australienne". Le Queensland est un pays chaud et les Queenslanders ont le sang bouillant. La tournée française prit une allure de croisade.......Le 4 juillet , encore à Brisbane mais cette fois contre la sélection de la capitale du Queensland , l'équipe de France fut soumise à bien rude épreuve. Fatigués , les Tricolores n'avaient pas pu contenir , tout au long du match , la ruée sauvage des avants de Brisbane . La cloche retentit alors que la France était menée 16 à 15 . En Australie , ce n'est pas l'arbitre qui chronomètre la partie , mais un juge spécial qui fait retentir une cloche ou une sirène pour signaler que le temps est écoulé. Lorsque ce signal est donné , l'arbitre doit siffler la fin du premier arrêt de jeu. La cloche ayant retenti , les joueurs de Brisbane se dépêchèrent d'assurer leur victoire en envoyant le ballon hors du terrain. Le ballon manqua sa sortie et, d'une détente acrobatique , Puig-Aubert le cueillit juste au bord du terrain . Là , à quelques mètres sur le banc de touche , les deux entraineurs Jean Duhau et Bob Samatan pliaient bagages avec la mine sombre des battus. - Que dois-je faire ? leur cria " Pipette" - Oh ! Maintenant tu peux faire ce que tu veux , lui répliqua Jean Duhau. Deux Australiens fondaient déjà sur Puig-Aubert. Il était dans son camp , à 5 mètres au moins de la ligne médiane , tout à fait au bord de la touche. Alors ce fut un déchirement colossal dans le stade. Les spectateurs qui , debout, se préparaient à sortir , virent "Pipette" botter sans même regarder . Sans faiblir le ballon passa en plein milieu et au sommet des poteaux. Un instant, le public resta atterré. Etait - ce possible ? Ce n'était plus un drop goal mais de la sorcellerie. En un coup de botte fabuleux , Puig-Aubert , à l'ultime seconde avait transformé une défaite certaine en une miraculeuse victoire. Des spectateurs pénetrèrent sur le terrain pour mesurer le coup de pied de légende . Il y avait exactement 60 yards , de l'endroit où Pipette avait botté à la ligne de but , et il était à 2 mètres de la ligne de touche. En pleine action , c'était fantastique. Le XIII de France n'emportait pas de Brisbane un heureux souvenir. Sa dramatique rencontre avec le Queensland , où, mené 20 à 0 , à la mi-temps il avait arraché le match nul 22-22, la bataille mémorable d'un houleux deuxième test perdu 23-11 et enfin ce difficile succès sur Brisbane , montraient que le XIII de France accusait une certaine lassitude .Le Queensland leur réservait encore une mauvaise surprise.............. à Toowomba où l'on trouve les plus solides rugbymen de tout le pays , grand producteur de durs en tout genre . Toowomba est un gros centre agricole à l'intérieur du Queensland. Les montagnes des alentours furent de solides volcans . Avant d'être totalement éteints , ces brasiers entassèrent une dizaine de mètres de cendres volcaniques qui allaient compter , en notre bon XX e siècle ,parmi les plus riches terrains agricoles. Cette terre nourricière doit être particulirèrement riche , car elle a vu s'épanouir les plus belles races de moutons merinos et les plus costauds des rugbymen des antipodes. Toowomba , avec ses 40.000 habitants, est d'ailleurs la ville d'Australie qui a fourni le plus de joueurs à l'équipe nationale après Sydney. Par réaction sans doute contre les mérinos , Toowomba ne fournit pas de doux agneaux aux sélectionneurs , mais des gars type cow-boys du Far-West aimant les bagarres de saloons. En ce temps-là, l'équipe était conduite par Duncan Hall , le plus terrible pilier du continent , l'homme qui avait achevé la défaite des Tricolores dans le deuxième test. Dès le début du match , Duncan Hall voulut intimider Bartoletti , mais celui-ci ne se laissa pas impressionner et répliqua poing par poing. Peu après, mécontent d'un placage de Brousse , dans son style patte de tigre , Hall expédia un solide direct du droit qui fendit les lèvres de Brousse . Elie répliqua par un crochet du gauche qui envoya Hall goûter la saveur de l'herbe tendre du terrain de Toowomba. L'arbitre , avec autorité ,expulsa les deux joueurs. Brousse sortit en montrant ses blessures au public. La foule répliqua en réclamant Hall sur l'air des lampions . - We want Hall ! We want Hall ! .... La partie fut interrompue , Hall ne voulant pas sortir . Alors Bob Samatan fit signe à Puig-Aubert de quitter le terrain avec ses hommes . Aussitôt la police ceintura le terrain .Aux vestiaires , Antoine Blain et le président de Toowomba , l'honorable E.S. Brown , discutèrent un quart d'heure . La position française était simple : deux joueurs s'étaient battus , l'arbitre avait estimé que tous les deux étaient coupables et les avait renvoyés aux vestiaires; tant que Hall resterait sur le terrain , les Français, eux , resteraient aux vestiaires. Enfin , Hall , la brebis galeuse , regagna le bercail. Le calme et aimable Bill Corbett écrivait le lendemain dans le "Sun": "Une des scènes les plus dramatiques que j'ai pu voir , je l'ai vécue à Toowomba hier. " L'incident Hall-Brousse réglé, le jeu reprit avec une nette amélioration française mais, une fois encore , ce fut la botte de Pipette qui força le succès final 20-17. La croisade du Queensland était terminée....... "PIPETTE" BAT JIM SULLIVAN. Deux jours après la bataille de Toowomba , les Tricolores devaient revenir dans la Nouvelle Galles du Sud et affronter Lismore la sélection de la Côte Nord . Ce match allait être encore un festival Puig-Aubert . La France l'emportait par 33 à 9 et " Pipette" réussissait un essai , trois transformations et deux buts. A la fin du match , tous les journalistes faisaient cercle autour de l'arrière du XIII de France . - " Congratulations , Congratulations ." - Pourquoi cette cérémonie ? Je sais bien que je ne marque pas souvent un essai , mais ce n'est pas la peine de me le faire remarquer comme cela! " Pipette " apprit alors , avec stupéfaction , qu'il venait de battre le record des points marqués au cours d'une tournée internationale . Le record appartenait au grand arrière Gallois, l'athlétique et rubicond Jim Sullivan; qui, lors de la tournée britannique de 1932 , avait totalisé 132 points. Puig-Aubert avait inscrit 133 points et ce n'était pas fini." Pipette " fit sa rentrée à Sydney comme le dieu vivant du rugby . A l'Olympic Hotel , c'était le défilé des photographes , des journalistes, des curieux qui voulaient voir le phénomène français, celui qui avait rayé le nom de l'extraordinaire Jim Sullivan.- Vous savez , je ne l'ai pas fait exprès. Si j'avais su que ce record existait, je ne l'aurais peut-être pas battu , affirmait Puig-Aubert à tous ceux qui lui demandaient comment il s'était préparé pour battre ce fameux record. "Pipette " était d'une grande modestie. Tous les Tricolores étaient d'accord pour reconnaître qu'il aurait fait beaucoup mieux , en ne cédant pas sa place pour certains matches faciles et en demandant à faire toutes les tentatives de buts et de transformations. Le lendemain " Pipette" fut tout ému en recevant ce télégramme posté à Wigan: " Félicitations . Faites encore mieux" .C'était signé : Jim Sullivan. Après le sensationnel match nul de la France contre Sydney (19-19), où un coup de pied magistral avait arraché le nul, après la révélation du "rugby-champagne" des Français, dans l'inoubliable premier test (26-15), le Sydney Cricket Ground allait connaître une nouvelle partie historique entre la France et la sélection de l'état de Nouvelle- Galles du Sud, d'une valeur sensiblement égale à l'équipe nationale d'Australie....Ce fut un match d'une prodigieuse intensité, à une semaine du troisième et dernier test qui devait décider de la suprématie mondiale. Les joueurs de Nouvelle-Galles du Sud, plus frais, réussisaient à mener 10 à 4 par deux essais du demi d'ouverture O'Connell et du centre Brown et deux buts de Pidding . Les Tricolores ne parvenaient pas à percer une seule fois la défense australienne. Fort heureusement, il y avait le divin " Pipette". Celui-ci réussissait tous ses coups de pied , passait six buts de pénalité et un maître drop goal . Ainsi la France menait 14 à 12 à cinq minutes de la fin . Mais cette tournée, nous l'avons déjà dit, ne ménageait pas les cardiaques. Le sort prenait un malin plaisir à distiller ses effets jusqu'aux derniers instants . Cela avait commencé par l'étonnant France-Sydney du 2 juin où Puig-Aubert, à l'ultime seconde arrachait le match nul (19-19) . Puis ce fut le prodigieux France -Queensland du 15 juin où les Tricolores , menés 20 à 0 à la mi-temps, étaient remontés à 22-19 pour, une fois encore, égaliser in extremis par le fameux essai de Contrastin. Vint enfin l'impitoyable France-Brisbane du 4 juillet, où le drop phénoménal de Puig-Aubert, après que la cloche eut retenti, avait transformé une défaite (16-15) en victoire ( 17-16) . Tous ces prodiges du dernier instant ne suffisaient-ils pas? Dans cette tournée hors série , le destin avait fait la part belle aux Tricolores puisqu'il leur avait permis trois rétablissements miraculeux. Jasait-on, dans l'Olympe du sport, sur le fait que le XIII de France était béni des dieux? Peut-être . En tous cas, l'arbitre accorda aux Australiens un coup de pied de pénalité alors que la clocha annonçait la fin du match; Pidding des 30 mètres , passa le but égalisateur: 14 à 14 . Malgré la valeur de la performance des joueurs de Nouvelle-Galles du Sud, c'était pour notre " Pipette" que l'Australie avait les yeux de Chimène . La chute du record de Sullivan l'avait déja fait monter sur le pavois. Qu'il ait tenu en échec la magnifique équipe de Nouvelle- Galles du Sud grâce à sa botte magique , le portait au pinacle. Comme pour le premier test , la foule avait envahi le Sydney Cricket Ground la veille de ce troisième test qui allait désigner les champions du Monde . Pour voir les "Flying Frenchmen " et " marvellous Puig-Aubert", les places à une livre étaient vendues au marché noir 10 livres le jeudi et 20 livres le matin du match. Dans le camp tricolore, on préparait ce test avec une certaine inquiétude ............Dop blessé , ne pouvait pas jouer à la mêlée. Martin, qui souffrait d'un genou, était en balance au talonnage . On hésitait entre Mazon la Terreur et le beau François Rinaldi pour un poste de pilier . En fin l'absence de Dop allait bouleverser la composition des lignes arrière. Finalement , le matin même du match , les dirigeants français arrêtaient ainsi leur équipe: arrière Puig-Aubert , capitaine; trois quarts Cantoni , Comes ,Merquey ,Contrastin ouverture Duffort ; mêlée Crespo troisième ligne Calixte deuxième ligne Brousse-Ponsinet première ligne Mazon-Genoud- Bartoletti. Ainsi donc , l'absence de Dop provoquait un bouleversement. Crespo prenait sa place à la mêlée , Merquey succédait à Crespo au centre , Duffort remplaçait Merquey à l'ouverture et Calixte revenait en troisième ligne, poste tenu par Duffort, dans les deux premiers tests . On n'aimait pas beaucoup, ces changements, dans l'entourage du XIII de France, bien que les modifications n'aient pas diminué la qualité individuelle des joueurs, ceux-ci étant aussi à l'aise à leur nouveau poste que dans leurs anciennes fonctions. Ce qui inquiétait le plus Antoine Blain, Jean Duhau et Bob Samatan , c'était la tactique mise sur pied par les "Kangourous" .Au deuxième test à Brisbane , la "Blitz tactic" arrêtée par l'entraîneur Vic Hey , avait été édifiante . Détruire, brouiller le jeu , accrocher l'occasion qui passe, ce fut alors toute l'ambition de l'Australie. Ce jeu dur provoqua l'excitation de public et des incidents émaillèrent de ce terrible deuxième test , où la domination des Tricolores se brisa sur treize gaillards costauds et décidés à ne pas perdre, sinon à gagner. Allait-on vers une semblable épreuve de force? On le craignait car l'Australie avait remplacé l'élégant Geelan au centre par le robuste Hawke l'ouvreur Stanmore par le gagneur O'Connell. Elle avait aussi rappelé , en première ligne , le pilier Donoghue, un teigneux, et le talonneur Schubert spécialiste bien connu de la "mandoline" aux lieu et place de Thompson et Hammerton jugés trop lents. Ces quatre changements étaient dus à la même politique : durcir l'équipe d'Australie . D'ailleurs , l'entraîneur australien Vic Hey n'avait pas caché sa tactique: - Pour vaincre la France , nous ne devons pas lui laisser un yard de mouvement. Ceci ne manquait pas d'émouvoir les membres de "L'AUSTRALIAN BOARD OF CONTROL" qui redoutaient le renouvellement des incidents du deuxième test à Brisbane . Certains officiels craignaient même que le match ne se termînat point. Le président-délégué George Ball avait même fait la veille à l'équipe d'Australie le discours suivant: - Nous attirons vivement l'attention de chaque joueur sur le fait qu'il doit toujours penser à la grandeur de notre jeu , ne rien faire qui puisse jeter le discrédit sur le jeu auquel nous sommes si fiers d'appartenir , et ne pas se laisser aller à des tactiques irrégulières et malhonnêtes . La presse, elle même, défendait ardemment le style de la France. Harry Jeffries , qui avait été le témoin des scènes d'anti-jeu multipliées par les " Kangourous" , téléphonait la veille de ce troisième test au "Brisbane Telegraph" : " Nous voulons que l'Australie joue dans le respect des lois contre la France et, si cela est , la France remportera la série des tests ... Homme par homme , la France est supérieure à l'Australie . Les Français sont trop rapides , trop entreprenants." Toute l'Australie soutenait l'équipe de France comme si les Tricoloresétaient ses propres champions . Je connais peu d'exemples qu'un peuple entier ait éprouvé pour une équipe nationale étrangère , une telle admiration, une pareille affection. Oui , au delà même de l' enthousiasme que de grands champions peuvent faire naître hors de leur pays natal , le XIII de France avait gagné le coeur des Australiens . Aujourd'hui encore , on ne sait ce que l'on doit admirer le plus: la classe de cette équipe de France hors série ou la chaleur, l'enthousiasme, la franche amitié des admirables sportifs australiens...... APOTHEOSE EN TRICOLORE Le Sydney Cricket Ground était plein à ras bord , à l'extrême limite permise par la police . Il avait un air de 14 juillet avec sa fanfare en grande tenue écarlate et casque colonial, son public qui attendait depuis la veille au soir, ou l'aube pour les retardaires, et pourtant c'était le 21 Juillet . Une date historique. Les "Kangourous" malgré leur tenue verte , ne portaient guère les espérances de la foule. Trois contre un , disaient les bookmakers .On les applaudit poliment. Ce que le public attendait , c'était l'équipe de France. Enfin elle déboucha du tunnel dans une formidable explosion. Avertis par leur mésaventure de Brisbane , les Tricolores , sermonnés par Antoine Blain , entraient sur le terrain bien décidés à suivre la tactique mise au point par Jean Duhau et Bob Samatan. En cette fin de tournée , le mécanisme du XIII de France était parfaitement au point. Les changements apportés à l'équipe, aprés le forfait de Dop, ne devaient pas altérer son bon fonctionnement . D'autre part, les joueurs avaient parfaitement récupéré des fatigues accusées au milieu de la tournée dans le Queensland . La consigne était donc : jeter d'entrée tout le feu dans l'action . Il fallait cueillir les "Kangourous" à froid. Avant le début du match, un petit vieillard chenu traversa la pelouse sous une ovation de roi. C'était Dally Messenger , "The Master" . La vieille idole australienne des temps héroïques, celui qui à travers les âges restait "Le Maître", allait serrer la main de celui qui venait le détrôner chez lui. Devant 92000 spectateurs, il souhaita à notre "Pipette" de faire mieux que lui, de battre les records qu'il détenait depuis 1910 et qui avaient semblé si longtemps inaccessibles. En 1910, dans la série de tests contre la Grande-Bretagne, Dally Messenger avait réussi douze buts et transformations et Puig-Aubert dans les deux premiers tests, en avait totalisé onze. D'autre part, dans cette même tournée de 1910, "The Master" avait inscrit onze buts de pénalité consécutifs et justement "Pipette" venait de tenter une série de onze buts sans en manquer un seul. Les deux records étaient bien menaçés . D'ailleurs, Messenger , regagna sa place avec l'air malheureux de celui qui a perdu un être cher. Le XIII de France fut fidèle à sa ligne de conduite . Dès que Tom Mac Mahon donna le coup d'envoi, le dernier d'une longue carrière, les Tricolores se ruèrent à l'attaque . Ce fut un prodigieux, un inoubliable ballet en bleu ,blanc, rouge .A la deuxième minute, Puig -Aubert ouvrait la marque par un but de pénalité en biais de 40 mètres . Peu après il en ajoutait un second . "The Master" avait trouvé son maître . Jouant à une vitesse stupéfiante, ne commettant pas une faute de mains, ayant de sublimes inspirations, les Tricolores débordaient les "Kangourous". Crespo perçait droit , Merquey et Comes affolaient la défense australienne, Contrastin fonçait comme un fauve le long de la touche , Brousse enfin était plus que jamais le " Tigre de Sydney". Une vaste attaque de trois-quarts, avec Puig-Aubert intercalé , permettait à Cantoni de prendre du champ le long de la touche .Cantoni gagnait 40 mètres et redonnait à l'intérieur à Comes qui avait suivi. Celui-ci perçait et servait Crespo qui filait sous les poteaux.Transformation de Puig-Aubert et la France menait 9 à 0 au bout d'un quart d'heure de jeu...............Et le festival tricolore continuait. Duffort, subtil et solide, "René la Science" , perçait et Jo Crespo était encore là pour conclure : 12 à 0. Peu après , sur une attaque générale , Contrastin plongeait victorieusement en coin 15 à 0 . C'était la consternation dans le camp australien. Les deux buts réunis par Pidding réduisant le score à 15-4 ne remontaient guère le moral des "Kangourous" . Il est vrai que Brousse phénoménal ce jour-là , se chargea bien de détruire le dernier espoir qui pouvait subsister dans le coeur des joueurs australiens. Prenant la balle aux 50 mètres , il fonça sur les buts adverses , admirable, impressionnant . Les opposants , il les prenait de vitesse ou les renversait comme des quilles. Il ne s'arrêta que dans l'en-but australien. Dans le stade ce fut un long cri d'admiration et puis un murmure parcourut la foule : " Brousse ...Brousse " suivi d'un énorme "Oh!" de révolte , d'indignation , de colère .Tandis que Brousse restait allongé, le ballon planté en terre devant lui , au pied du poteau , Davies , dans un inutile retour , se laissait tomber sur Elie de tout le poids de ses 100 kilos. Le choc eut été sans importance si, dans son élan, Davies n'avait heurté la tête de Brousse avec ses grandes godasses . Groggy, le deuxième ligne fut emporté à l'infirmerie où il retrouva ses esprits après la mi-temps. Pendant que le public huait Davies, Puig-Aubert ajoutait une transformation à la marque , si bien que l'heure venue d'aller déguster les citrons au vestiaire , la France menait par 20 à 4. Peu après la reprise , sur une nouvelle perçée de Duffort ,Crespo surgissait pour marquer, en bonne position, un essai que "Pipette" transformait comme une simple formalité. Menant 25 à 4, les Tricolores soufflèrent un peu. Laborieusement à coups de boutoir répétés, les "Kangourous" s'approchèrent des buts et les Tricolores concédèrent un essai en force, à porter au crédit du buffle Duncan Hall . Grâce à la transformation de Pidding, l'Australie évitait le ridicule et réduisait l'addition à 25-9. Une nouvelle attaque des trois-quarts tricolores et Comes , avec une paire de ses meilleurs crochets affirmait par un essai évidemment transformé par Puig-Aubert , que le XIII de France entendait maintenir ses distances 30-9. Il en fut de même, en fin de match, quand une longue série de rushes têtus des avants australiens, s'acheva par un essai de Davies bien transformé par Pidding, ce qui ramenait l'écart à 30 à 14. Aussitôt , il y eut la réplique tricolore . Une immense vague de fond et Contrastin poussait une charge . Churchill tentait bien de l'arrêter mais "Tintin" l'envoyer bouler comme un lapin et, d'une suprême détente, il marquait en coin . La transformation réussie encore par Puig-Aubert, permettait au XIII de France de triompher 35 à 14.!! Apothéose de l'équipe de France . Jamais le rugby français n'avait été aussi grand . Dans la longue histoire du royaume d'Ovalie , la France, enfin, atteignait au sommet . Aucune équipe n'avait réalisé un exploit pareil. Sept ans avant la victoire du XV de Lucien Mias, en Afrique du Sud, c'était le premier avènement du rugby français , du rugby-champagne. Le lundi 23 Juillet 1951 , "l'Equipe" titrait : " UN EVENEMENT QUI A BOULEVERSE LES ANTIPODES".........Oui , on était bouleversé sur les bords du Pacifique , d'un pareil succès. Il faut bien admettre que jamais , sans doute , une équipe de France n'avait pareillement étalé sa qualité ni collectionné autant de records que le XIII de France, ce jour-là. C'était la première fois que la France remportait la série des tests contre l'Australie . Cela lui valait , du même coup , la Coupe Tattersall et le Goodwill Trophy . Ce dernier était un monument de mauvais goût et de 120 kilos d'argent massif. On eût dit un immense gâteau de première communion à la luxueuse laideur argentée, mais c'était le trophée qui revient aux champions du monde, ceux qui ont obtenu les meilleurs résultats internationaux dans un cycle de quatre ans. Depuis, la reprise, de 1947 à 1951 , la France avait gagné à Sydney ce suprême honneur. Autre record battu par les tricolores, celui du score . L'Australie n'avait jamais encaissé 35 points ; son plus pénible souvenir remontait en 1910, l'année terrible où la Grande-Bretagne lui avait infligé 27 points. Enfin il y avait les prouesses de Puig-Aubert qui, ce même jour , avait pulvérisé le record de Dally Messenger : 12 buts ou transformations dans la série de tests de 1910 entre l'Australie et la Grande-Bretagne. Avec une impertinence teintée de désinvolture, "Pipette" venait de totaliser 18 coups de pied victorieux dans les trois tests. 50 % d'augmentation , il était difficile de faire mieux . Quant au record général , établi par l'inoubliable Jim Sullivan , Puig-Aubert l'avait porté de 132 à 161 points ! Tout le stade avait acclamé le tour d'honneur des Tricolores portant "Pipette" sur leurs épaules. - Vive la France ! Vive la France ! hurlaient les spectateurs des tribunes. Le lendemain , sous le titre : "PUIG-AUBERT FRACASSE LE RECORD DES BUTS DANS UN TEST TRIOMPHANT" Tom Goodman écrivait dans le "Sun Herald": " Le troisième test-match au Sydney Cricket Ground, hier, a été, à nouveau , un extraordinaire triomphe pour une inoubliable personnalité du rugby français : le petit arrière Puig-Aubert . " "Pipette" devait acquérir une popularité colossale aux antipodes et qui n'est pas prêt de s'éteindre . C'est ainsi qu'au retour de la Coupe du Monde, en 1957 , une panne d'avion m'avait forçé à une escale prolongée à Darwin , dans la zone équatoriale du nord australien. Le garçon aborigène de l'hôtel , lorsqu'il sut que je m'intéressais au rugby extirpa de son vieux portefeuille poisseux un bout de papier. C'était une vieille photo de Puig-Aubert tentant un but. Après ce troisième test, "Pipette" était l'homme le plus populaire d'Australie . Il faut dire qu'il était autant par sa bonhomie que par son talent exceptionnel, parfaitement digne de sa légende. Aujourd'hui , les amoureux de l'ovale se demandent si l'on verra un nouveau Puig-Aubert . L'arbitre international Tom Mac Mahon , qui venait d'achever sa carrière en dirigeant les trois tests entre l'Australie et la France , titrait dans le "sun Herald": " PUIG-AUBERT , LE PLUS GRAND ARRIERE EN VINGT-CINQ ANS". et il écrivait :" Le Français Puig-Aubert s'imposa, tout seul, comme le plus grand arrière au monde des vingt-cinq dernières années. Les Australiens ont toujours rendu cet honneur à leur propre Clive Churchill . Mais hier, Puig-Aubert a totalement dominé, surclassé Churchill . D'ailleurs, malgré mes vingt et un ans d'expérience en tant qu'arbitre, je n'ai jamais pu anticiper les mouvements qu'il avait dans l'esprit." Avec "Pipette" , le héros de ce troisième test fut Elie Brousse . L'ancien grand avant Frank Burge avait écrit lui aussi dans le "Sun Herald": " Le Français Elie Brousse est, en attaque, un des plus grands avants que j'ai jamais vus . Quant à sa défense, elle a été remarquable tout au long des tests." Le terrible et acide Jim Mathers qui trempe plus souvent sa plume dans le vitriol que dans l'hydromel affirmait dans "Truth" : " L'Australie a subi la plus grande humiliation de son histoire . Quant à la France qui était venue ici comme une élève pour apprendre les leçons de son maître, elle expédia notre équipe dans la poussière du Sydney Cricket Ground pour gagner le décisif troisième test par l'exaspérante marge de 35 à 14 . Dans l'excitation du match, un spectateur s'évanouit et mourut . C'était M.John Wilson Dempsey de Ishington . De nombreuses bousculades firent sortir beaucoup de spectateurs de l'enceinte qui leur était réservée. Il y eut des blessés à l'hôpîtal Saint - Vincent." Enfin , Alan Hulls reflétait dans le "Daily Telegraph" l'opinion unanime de tous les témoins du Sydney Cricket Ground : " La lecture du score : 35 à 14 , est assez mauvaise . Et pourtant , ce n'est pas le reflet exact de l'ultra-céleste supériorité des Français." Ce fut un beau remue-ménage ce soir-là à l'Olympic Hotel . Toute une foule exaltée avait accompagné les Tricolores jusqu'à leur quartier général. Le propriétaire Jack Mason , vida tout son stock de champagne dans la Coupe Tattersall que Puig- Aubert avait emportée dans ses bras , laissant à la Rugby League le soin d'expédier la pièce montée de champion du monde , par bateau , dans une énorme caisse de 2 mètres de côté . Jusqu'à leur départ , trois jours plus tard , pour la Nouvelle-Zélande , les Tricolores menèrent joyeuse vie. Après le champagne , les bourgognes et les bordeaux connurent l'honneur de finir leur existence dans cette Coupe Tattersall où chacun tenait à boire . Les taxis ne voulaient rien accepter des "Frenchmen" , ainsi que de nombreux magasins de souvenirs. Bref , nos Tricolores arrivèrent le 25 juillet en Nouvelle-Zélande avec la mine fripée des lendemains de réveillon......- Nous avions , tous des paupières de chat , assure encore Jean Duhau. Le séjour en Nouvelle-Zélande devait être , en somme des vacances bien méritées . Ce n'était pas du tout l'avis des Néo-Zélandais. Les premiers Maoris, partis de Tahiti en pirogues au Xe Siècle sous la direction de Kupe, atteignirent, après des mois de navigation, à 700 kms dans le sud-ouest, une terre au ciel triste. Cette île, l'Ile du Nord, était grande, belle, accueillante, avec une riche végétation, des animaux inconnus mais inofensifs. Kupe , le Polynésien baptisa l'île AOTEAROA , c'est-à-dire le Pays du Long Nuage Blanc . Le XIII de France ne découvrit Aotearoa qu'en cette année 1951 , mais ce sera pas lui qui changera la poétique appelation du grand Kupe . Si vous voulez dire qu'il pleut, eh bien, allez en Nouvelle-Zélande. Vous pourrez conjuguer le verbe pleuvoir à tous les temps . C'est ainsi que la vieille Rangi , célèbre guide de la région volcanique de Rotorua, m'expliqua le mécanisme météorologique : - Ici , lorsqu'on voit les montagnes , c'est qu'il va pleuvoir. - Et si vous ne les voyez pas? - C'est qu'il pleut. Pluie, terrains devenus des bourbiers, arbitres n'ayant qu'un oeil, celui qui voit la faute des visiteurs, fatigués d'une tournée commencée depuis trois mois et des festivités après le triomphe dans le troisième test, les Tricolores avaient besoin de souffler un peu . Qu'ils aient, dans de telles circonstances, fait honneur à leur réputation, est assez prodigieux. Débarquant dans l'Ile du Sud , ils battirent la Côte Ouest à Greymouth(5-2) mais ils perdaient Delaye touché à l'épaule . A Christchurch ils triomphèrent de la sélection de l'Ile du Sud (13-7) mais Comes était blessé à la cheville . Remontant vers Auckland , la métropole économique , ils s'arrêtèrent à Wellington , la capitale administrative , où ils gagnèrent encore 23-13. A Auckland , le fameux bourbier de CARLAW PARK n'a jamais été le terrain de prédilection des Tricolores . C'est le stade le plus boueux du monde, car il est au niveau de la mer et l'eau ne s'y infiltre pas . Pendant les matches, on peut voir ce spectacle étrange d'une bande de mouettes se déplaçant sur les espaces libres, au gré du jeu, et cherchant leur pitance dans la vase du sol. Sur un pareil marécage , les Tricolores n'ont jamais pu extérioriser leur panache car ils étaient privés de leur arme capitale : la vitesse. Enfin, il y avait l'incroyable méfiance que les arbitres néo-zélandais portent à tous les rugbymen d'importation. J'ai vu en Nouvelle-Zélande des arbitres infliger cinq fois plus de pénalités contre l'équipe de France que contre l'équipe locale. M. J.Griffin ne fut ni plus mauvais, ni meilleur que la moyenne . Aujourd'hui encore, Puig-Aubert vous dirait qu'il a "faussé le résultat". - Parfaitement, affirmait "Pipette " après la rencontre, le meilleur des "Kiwis" a été M.Griffin. Il nous a refusé trois essais, dont un de Brousse, indiscutable . D'ailleurs , M.Griffin l'avait accordé mais, alors que je me préparais à faire la transformation, le capitaine néo-zélandais, le centre Robertson, vint protester affirmant qu'il y avait eu en avant de passe entre Cantoni et Brousse . M.Griffin annula l'essai. Peu après, il nous expulsa, notre talonneur Martin. Enfin, à l'ultime minute, alors que nous menions tout de même 15 à 14, il nous infligea une pénalité . White fit le but et nous fûmes battus 16 à 15. Ah ! je vous assure que je garde une dent contre M.Griffin. Précisons, que trois jours auparavant, "Pipette" s'était fait extraire une dent de sagesse, ce qui l'avait empêché de jouer les premiers matches en Nouvelle-Zélande. Les Tricolores se vengèrent en triomphant deux jours après de la sélection d'Auckland qui comptait 9 internationaux . La France domina largement , l'emportant par 15 à 10, après avoir mené 15 à 2 à cinq minutes de la fin . Pour terminer, l'équipe de France écrasait, coup sur coup, la sélection de la province Sud d'Auckland (25-7) à Auckland et celle de Taranaki , à New-Plimouth ( 23-7) Revenu à Wellington , le XIII de France était reçu avec une touchante gentillesse par la reine des Maoris. Fleuris, écoutant les chants envoûtants où les Hakas de guerre alternaient avec les poésies d'amour, les Tricolores croyaient goûter un repos bien mérité . De retour à l'hôtel, Antoine Blain leur annonça que l'Australie, pour l'honneur désirait un quatrième test au retour de Nouvelle-Zélande. Accepter, c'était un bien grand risque . L'équipe était saturée, alors que les "Kangourous " s'étaient sans doute préparés ferme pour redorer leur blason. Refuser, c'était contraire à l'esprit chevaleresque des Tricolores. Alors, après en avoir discuté avec Jean Duhau, Bob Samatan et les joueurs, Antoine Blain envoya un télégramme d'accord à l'Australie.....Ce quatrième test hors programme devait avoir lieu le 18 août à Melbourne. Antoine Blain et les entraîneurs Jean Duhau et Bob Samatan étaient manifestement très inquiets. Ni Bartoletti , ni Mazon , ni Rinaldi n'étaient en mesure de tenir le poste de pilier . Dop était également indisponible à la mêlée ainsi que Duffort et Merquey à l'ouverture . Comes au centre, Cantoni et Lespès aux ailes, devaient à leur tour renoncer . Ainsi il fallait replâtrer l'équipe . Fort heureusement, la force de cette tournée résidait dans la qualité de tous les joueurs et les éléments mis en réserve valaient souvent ceux choisis pour défendre les couleurs françaises. Le triumvirat , qui dirigeait les destinées , constitua donc l'équipe suivante: arrière : Puig-Aubert , capitaine trois-quarts : Maurice André , Caillou, Crespo,Contrastin. Ouverture: Bellan Mêlée : Calixte troisième ligne : Perez deuxième ligne : Brousse , Ponsinet Première ligne : Béraud , Martin , Audoubert. La lecture même du XIII de France suffisait à révéler l'embarras qui avait présidé à sa formation . Maurice André, habituel arrière, jouait à l'aile; Calixte, grand et élégant troisième ligne, opérait à la mêlée et Audoubert qui devait s'imposer par la suite comme un extraordinaire talonneur, était promu au grade de pilier . Prudent, Antoine Blain avait demandé, avant de donner son accord, que ce test supplémentaire ne figurât point au palmarès . Les Australiens firent un moue de déception car ils espéraient bien saisir cette occasion unique de se racheter, mais contre mauvaise fortune, ils acceptèrent de bon coeur.....Tandis que le gros de la troupe, conduite par Antoine Blain et Bob Samatan s'embarquait sur le " STRATHEDEN" via Marseille, le commando de Melbourne s'envolait avec Jean Duhau pour Melbourne . Il devait reprendre le "Stratheden" au passage à Adélaïde. Dans l'avion, un seul homme était soucieux : Puig-Aubert . Le plus gai, le plus insouciant de nos joueurs réfléchissait sérieusement . Le plus riche club d'Australie, Saint-George de Sydney, lui avait offert 8 millions de l'époque pour rester trois ans en Australie, ainsi qu'une mensualité de 100.000 francs, un pavillon et le voyage aller-retour pour sa femme et sa petite fille. On a beau être une vedette mondiale, Puig-Aubert était un homme heureux mais sans fortune.Il avait demandé trois jours de réflexion, alors il réfléchissait. A Melbourne, comme s'ils étaient pressés de s'embarquer pour la France, les Tricolores menèrent rondement l'affaire . Retrouvant aussitôt, le rythme des grands jours, ils se jouèrent des "Kangourous" avec une telle maîtrise, que le film de ce match, sans la moindre fausse note, est aujourd'hui encore conservé dans la cinémathèque de la Rugby League d'Australie et sert de modèle aux entraineurs australiens. Débordant une fois de plus, les Australiens, Béraud marquait deux essais puis Maurice André, Crespo et Contrastin chacun un. Mais, dominant le match de sa fascinante personnalité, Puig-Aubert marquait 19 points à lui tout seul : quatre buts, quatre transformations et en prime un essai . Le XIII de France triomphait donc de l'Australie par 34 à 17 . Cette fois , il n'y avait pas à croire en une passagère défaillance australienne. Le lendemain , le "Melbourne Herald" titrait : LE RUGBY-CHAMPAGNE TROP FORT , TROP PETILLANT POUR LES "KANGOUROUS". Quant à Puig-Aubert, il était déifié . Dans le "Daily Mirror " de Sydney, Arthur Mailey écrivait : " Puig-Aubert a collectionné les souvenirs pour son magasin d'articles de sports mais j'imagine volontiers que le meilleur souvenir pour ce grand joueur devrait être une paire de poteaux de buts . Quand il place sa balle pour un coup de pied, il se retourne, regarde la pendule, bavarde avec les joueurs de la réserve installés le long de la touche. Je pense qu'il pourrait réussir un but du vestiaire s'il était certain que les officiels ne craignent pas de recevoir la balle derrière la tête." Toute l'Australie attirait "Pipette", et celui-ci était bien tenté de s'engager sur ce pont d'or . Il devait revoir les dirigeants de Saint-George, le mardi 22 août, juste avant que le commando de Jean Duhau ne parte rejoindre le " Stratheden" à Adélaïde . La veille au soir, il était prêt à rester. - Après tout, trois ans, c'est vite passé, disait-il à ses copains. Le rendez-vous était pour le mardi matin . Le matin en se réveillant, il eut le trac . Dans la chambre qu'il partageait avec Contrastin, celui-ci bouclait son sac. - Alors, "Pipette", on te laisse ? - Oui, répondit-il, en tirant nerveusement sur sa première cigarette. Dans le hall , la petite troupe était rassemblée et "Pipette" ne disait pas une parole.Il aurait voulu plaisanter pour dissiper cette tristesse qui paralysait l'équipe de France mais il craignait que les mots s'étranglent au fond de sa gorge . Jean Duhau, qui n'a jamais été seulement l'entraîneur mais le père, le frère, l'ami, le copain de ses joueurs, se grattait un ongle en fixant le sol. Lorsque Duhau leva la tête, son regard accrocha celui de Puig-Aubert. Il était triste, Duhau , et "Pipette" lut dans ses bons yeux toute la chaleur humaine qui allait lui manquer pendant trois ans . Les dirigeants de Saint-George vinrent, les Tricolores s'effacèrent . Allait-on perdre "Pipette" ? Rester pour lui, c'était mourir un peu , alors il dit non, gentimen, mais fermement. Les Australiens lui serrèrent la main, lui souhaitèrent bon voyage, saluèrent l'équipe de la main et s'en furent. Aussitôt, les Tricolores se pressèrent autour de "Pipette" et celui-ci, de sa bonne voix rauque, leur dit avec un brin d'émotion : - Eh oui, j'ai réfléchi ! J'ai pensé que, vous partis, sans gauloises et sans pétanque, je ne pouvais pas m'entraîner . Que voulez-vous, c'est un cas de force majeure, qui me fait partir ! . Ils partirent donc, joyeux et au complet, sur le " Stratheden", prenant le temps, lors de la dernière escale australienne à Perth, de triompher par 70 à 23, de l'Australie Occidentale. Puig-Aubert , cette fois réussissait 20 points à lui tout seul : sept buts et deux essais ! "Pipette" venait de battre un ultime record : celui du total des points sur l'ensemble d'une tournée en Australasie, que détenait encore le fameux Jim Sullivan avec 223 points .Puig-Aubert totalisait 241 points : 110 buts, drops et transformations et 7 essais ! Les Tricolores partis, l'Australie restait encore abasourdie par ce rythme effréné de l'équipe de France et aussi par son étrange façon de concevoir le rugby. Aux antipodes, un champion se voue presque totalement au sport . Entraînement sérieux, régime alimentaire, abstinence, tels étaient les principes de base des Australiens. Et puis les Tricolores vinrent. Avec leur tempérament rabelaisien, ils jetèrent bas toutes les belles théories des licenciés ès-muscles si bien que le "Sydney Morning Herald" fit une enquête . Après avoir apprécié la vitesse et la rigueur des rugbymen français, on a du mal à croire en l'utilité de régimes conditionnés par nos spécialistes à l'usage des sportifs " écrivait-il . "Ces joueurs rapides et intelligents ont affolé tous les experts en nourriture par l'énorme quantité de pain qu'ils consommaient . Les serveuses de l'hôtel passaient le plus clair de leur temps à apporter du pain sur les tables . Avec ça, ils buvaient chaque jour autant de vin à table que nous à un banquet d'anciens combattants et ils ne se privaient jamais d'un bon verre de bière . Ils appréciaient particulièrement la purée . Beaucoup fumaient . Enfin ils avaient une coutume étrange : celle de verser dans l'assiette une bonne rasade de vin rouge à la fin de leur soupe, ce qui faisait lever le coeur à tous les témoins de la scène. Tout cela faisait froncer les sourcils à nos entraîneurs. Mais examinez les résultats. Ces Français nous ont surclassés." Le lendemain , un diététicien répliquait : " Quel dommage , précisément , que ces fameux Français se soient si mal alimentés ! S'ils avaient suivi nos principes fondamentaux de l'alimentation chez les sportifs, en s'abstenant de certains plats et de certaines boissons, ils eussent été plus formidables encore." Mais le " Sydney Morning Herald" n'était pas convaincu par cet argument et il concluait le lendemain : " La merveille des merveilles était précisément l'arrière Puig-Aubert .Or il fume comme un feu de brousse, boit de tout, et a horreur de l'entraînement." Les diététiciens des antipodes avaient probablement raison, pourtant, car en refusant toute discipline alimentaire et tout entraînement sérieux, notre phénoménal Puig-Aubert prit rapidement des allures de mappemonde, ce qui lui faisait dire en riant : - J'ai tellement pris de muscles abdominaux que je ne vois plus mes souliers; "Pipette" continua à faire des prouesses quelques années encore, tout en fumant deux paquets de gauloises et en buvant une douzaine de pastis par jour et surtout en s'abstenant scrupuleusement de tout entraînement. Il réalisa encore des prodiges, mais que n'aurait-il pas réussi si, comme le dit Jean Duhau , "Il avait un peu moins abusé du coup de pied à suivre"? Mais après tout , c'est la personnalité et le charme du rugby d'être le "sport où l'on s'amuse". Le retour d'un mois sur le " S/S/Stratheden"de la Peninsular and Oriental Company, fut évidemment très joyeux. Les passagers n'eurent pas le temps de s'ennuyer . Le groupe des "sacs de noix" ainsi dénommé pour le rire sonore de ses composants ( Puig-Aubert , Mazon , Martin , Ponsinet ,Contrastin , Lespès et Bartoletti ) se déchaîna . Passagers tombant dans la piscine, pétards dans la salle à manger, Antoine Blain, malgré toute son autorité, était débordé. Un jour, le capitaine l'invita à boire un scotch au bar .Perchés sur des tabourets, le capitaine et Antoine Blain discutaient amicalement en dégustant leur whisky. Le capitaine, véritable gentleman, tenait à peu près ce langage à Antoine Blain que sa verve au sein de l'équipe de Carcassonne avait fait surnommer l'"avocat": - Monsieur Blain , vos garçons sont très sympathiques , mais ils font trop de bruit. Hier , il y a eu trois explosions de pétards sur le bateau , c'est un peu trop ...Et Antoine Blain tenta de plaider la cause des bruyants Taillefer : - Que voulez-vous, capitaine, ils sont jeunes, ils viennent d'être élus champions du monde, alors ce sont des explosions de joie .Je vais leur parler et , croyez-moi ils seront très sages dorénavant... Antoine Blain achevait à peine ces paroles qu'un pétard gros modèle explosait sous le tabouret du capitaine qui ne put s'empêcher d'éclater de rire. L'arrivée à Marseille, le 19 septembre, fut un véritable triomphe . Chacun dans une voiture découverte , les "Australiens " défilèrent sur le Vieux Port et la Canebière , entre dix rangs de spectateurs. On n'avait jamais vu une chose pareille et, pourtant à Marseille, que n'a -t-on pas vu?... Paul Barrière et Claude Devernois attendaient sur le quai avec une foule énorme et une armée de reporters, de photographes et de cinéastes. Marseille était en fête, pavoisée, vibrante comme après la Libération. Chaque joueur fut installé, debout, des guirlandes autour du cou, dans une voiture décapotable où l'on avait placé à l'avant le nom du héros en lettres énormes. Ce fut un défilé comme à Broadway . Pour que les dizaines de milliers de Marseillais puissent admirer les "Australiens", on avait interdit toute la circulation sur le Vieux Port, la Canebière, les allées Gambetta, la rue de Rome, le cours Belsunce. Police en tête, pluie de coqs tricolores en papier, banderoles en travers de la Canebière "GLOIRE A L'EQUIPE DE FRANCE" , " HONNEUR AUX TRICOLORES". Pour le XIII de France, la Porte de l'Orient était devenue la Porte Dorée. N'était-ce-point une juste revanche pour ceux qui étaient partis seuls ,méconnus, dans l'indifférence générale? ....... RUGBY CHAMPAGNE UNE COURONNE AU BOUT DU MONDE. mon centre cède, ma droite recule, situation excellente ,j'attaque. Maréchal FOCH. La famille Taillefer eut bien des ennuis pendant un lustre . Lorsque vint l'heure de la retraite, " Grand-père Taillefer" alias Lolo Mazon, dont l'appendice nasal avait passablement souffert dans les mêlèes et démêlés du rugby, se vit offrir un nez à la grecque par l'A.S.Carcassonne, pour ses bons et loyaux services . L'opération fut parfaitement réussie par un esthéticien de grand talent .N'eût été sa tignasse blonde plus révoltée encore que son propriétaire, on l'eût pris volontiers pour le Kirk Douglas du Languedoc . Hélas ! la "pibane" lui fit un jour un pied de nez. La glorieuse A.S.C se trouva, un beau dimanche matin, privée d'un pilier de poids . Les supporters vinrent donc trouver notre Lolo, pour lui proposer de faire un petit extra. Bah ! pour lui, le vieux gladiateur, un match de plus ou de moins, ça ne comptait pas beaucoup et puis il était toujours en forme le bougre. Il se fit prier un peu pour le principe, et peut-être aussi pour une petite prime spéciale . On lui rappela alors l'intarissable gloire carcassonnaise au firmament du Championnat et de la Coupe . Macarel ! ça devait continuer . On n'allait pas laisser Villeneuve, Albi, Bordeaux, Lyon, Marseille ou les Catalans, venir faire la loi au pied de la Cité! A ces mots Lolo décida de redescendre dans l'arène. On le revit donc en première ligne et tous se rallièrent à son profil de médaille . Le début fut superbe et puis, tout à coup, il y eut un attroupement . Les Carcassonnais appelèrent le soigneur et Lolo sortit du terrain le nez ensanglanté . Voilà pourquoi, sous l'effet d'un destin contraire et d'un poing ennemi, "Grand-père Taillefer" arbore aujourd'hui un nez expressif, tourmenté, belliqueux comme la carrière exceptionnelle de ce pilier nommé Mazon et surnommé aux antipodes "The Wild man ", l'homme sauvage, celui qui ne craignait ni les hommes, ni la foule, ni les arbitres mais seulement la colère de sa charmante femme qui le menait, dit-on, mais que ne dit-on pas ? par le bout du nez. Après "Grand-père Taillefer", ce fut au tour de l'"Oncle Edouard" de renoncer aux aventures internationales du XIII de France . Sans doute continuait-il à casser les noix dans le creux du bras, ou à ouvrir les boites de sardines sans aucun ustensile, simplement en prenant la languette de fer entre le pouce et l'index, mais Edouard Ponsinet, le doux colosse, s'estimant mûr pour la vie de famille, se contenta d'aller donner la leçon de rugby à Lézignan. Sous son autorité les gars des Corbières retrouvèrent une notoriété perdue, et à la gare, le préposé aux arrivées montra le changement radical de style en ne saluant plus les équipes visiteuses, par cette phrase lourde de sous-entendus : "Lézignan-la-Matraque , tout le monde descend". Bientôt donc , les supporters carcassonnais ne purent plus entonner leur chant favori sur l'air de "Vive le vent" : Un essai de Ponsinet Vive l' A.S.C. Un second De Mazon Ah ! le bon garçon ! Martin Martin dit l"Espagnol", car il était né à Valladolid , Henri Vaslin "L'Autrichien", à cause de ses cheveux blonds, renoncèrent eux aussi à la sélection. Vincent Cantoni blessé au genou, Elie Brousse, le tendon sectionné comme le roi des Myrmidons, partirent trop tôt . Beraud, très pris par la remontée d'Avignon et la montée de son café, le beau Raoul Perez le "Gitan", de moins en moins intéresé par l'entraînement, descendirent à leur tour de leur piédestal . Calixte la Méthode, victime lui aussi d'un accident au genou, raccrocha . Caillou et Comes arrivèrent tout doucettement en fin de carrière internationale et quittèrent la scène en pleine gloire . Duffort, Réné La Science, après avoir été capitaine du Celtic de Paris et de Lyon, allait, grossir les rangs des limonadiers patentés. Enfin, le président Barrière, après la première Coupe du Monde en 1954, abandonna l'arène pour se consacrer à la tauromachie. Les internationaux passaient, Claude Devernois restait, le grand animateur du néo-rugby . Le XIII de France ayant pas mal perdu de ses " Australiens", maintenait néammoins son standing, triomphait tour à tour de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie venues lui rendre visite pendant les saisons 1951-52 et 1952-53 . Dans le Coupe du Monde 1954, il collectionna encore les victoires sur la Nouvelle-Zélande à Paris, et l'Australie à Nantes et fit match-nul avec la Grande -Bretagne . Il fallut une finale au Parc des Princes , pour que la France s'inclinât de justesse ( 16-12 ) Au moment où sonna l'appel pour la deuxième croisade australienne, il y avait encore, prêts à prendre le départ, quelques héros de 1951 : Puig-Aubert malgré une bedaine de ministre, Dop pas encore assagi, Merquey plus irrésistible que jamais , "Dumbo" Delaye qui dépassait allégrement le quintal, Montrucolis vieux lion qui rugissait encore, Audoubert " Monseigneur" dans tout son rayonnement et Contrastin qui avait perdu un peu de vitesse, mais qui savait encore planter son essai au coin du bois. A ce cadre d'anciens, on avait adjoint de jeunes troupes et un presque ancêtre, Gabriel Berthomieu dit "Hugues" tout bonnement parce que lors du match de la reprise contre l'Angleterre, le 23 février 1946 à Swinton, par ordre alphabétique il fut le premier " capé " . De là, à faire un rapprochement avec Hugues, le premier des rois Capétiens, il n'y avait qu'un pas, qui fut franchi sans histoire. Les Tricolores subirent leur premier coup dur de cette deuxième tournée, avant le départ. En demi-finale de la Coupe de France, le 24 Avril, à Lyon , Puig-Aubert se blessait au bras gauche, à la troisième minute de jeu . Conduit de suite à l'hôpital Edouard-Herriot, on décéla une fracture de l'humérus . Le tour du monde à la tête des Tricolores était fini pour lui. En France et aux antipodes, où tout le monde voulait revoir l'inégalable "Pipette", ce fut la consternation. Pour le XIII de France ce fut un bien grand dommage car, dans l'ombre de celui que "l'Equipe" avait élu Champion des Champions 1951, aucun arrière ne s'était dressé en rival et éventuel remplaçant. Le samedi 7 mai 1955, le Comité directeur réuni à Marseille décidait de la composition de l'équipe de France, pour sa deuxième tournée aux antipodes . Au programme 32 matches, 25 en Australie, 7 en Nouvelle-Zélande. Pour presque, quatre mois de campagne, l'expédition française dirigée par Antoine Blain, comprenait deux entraîneurs : Jean Duhau et René Duffort et les 28 joueurs suivants: arrières : Dop ( Marseille ) G.Benausse ( Carcassonne) Ailiers: Contrastin ( Bordeaux) Ducasse (Bordeaux) Savonne( Avignon) Voron ( Lyon) F.Cantoni ( Toulouse) Centres : Merquey ( Avignon) Teisseire ( Carcassonne) Rey( Lyon) Larroudé(Lyon) Ouverture: Jimenez ( Villeneuve) Delpoux ( Carcassonne) mêlée : Guilhem ( Carcassonne) Menichelli ( Celtic) Troisième ligne: Duplé ( Bordeaux) Levy ( XIII Catalan) Deuxième ligne : Montrucolis ( Cavaillon) Pambrun ( Marseille) Delaye( Marseille) Save ( Bordeaux) Jammes ( Carcassonne) Piliers : Vanel ( Lyon) Berthomieu( Albi) Fabre ( Avignon) Carrere ( Villeneuve) Talonneurs: Audoubert ( Lyon ) Moulis ( XIII Catalan) C'était évidemment des places de principe, chaque joueur pouvant opérer à plusieurs postes . Enfin l'équipe de France avait un supporter : l'arbitre parisien Roland Proust. Le départ se fit en deux groupes . Le premier, conduit par Antoine Blain et Jean Duhau, devait livrer seul les premiers matches avant que le reste de la troupe le rejoigne à Sydney , une semaine plus tard. Ce premier commando de choc comprenait 17 joueurs : Ducasse.Constrastin.Savonne.F.Cantoni.Jimenez.Larroudé.Duplé.Menichelli.Levy.Save.Pambrun.Delaye.Carrere.Moulis.Berthomieu.J.Fabre.Dop. Bien avant que les Tricolores aient été sélectionnés, les Australiens s'étaient précipités aux bureaux de location. Lorsque la petite troupe française toucha Darwin, le vendredi 13 mai, il était impossible d'avoir un billet pour le premier test prévu le 11 juin. La tournée commença par un triomphe le dimanche 15 mai, à Perth, contre la sélection de l'Australie Occidentale, immense territoire cinq fois plus vaste que la France . Sous son ciel de Riviera, Perth vit le XIII de France battre le record d'affluence . En 1951, 7.000 spectateurs étaient venus voir les Tricolores triompher par 70 à 23 . Cette fois, il y avait 15.200 personnes pour assister au succès de la France. L'Australie Occidentale affirmait de réels progrès défensifs car elle n'était battue que par 31 à 6 . A noter que les Bordelais avaient marqué tous les points, à savoir Contrastin 3 essais, Save 3 essais, Ducasse 2 essais et, enfin Duple 1 essai et 2 transformations . Le mercredi 18 mai, à Adélaïde, les Tricolores firent de nouveau "cavalier seul" aux dépens de l'Australie du Sud . Très en verve ,les Tricolores l'emportaient par 48 à 10 et l'agence " United Press" câblait: " Rapidité, adresse, vivacité dans les passes, semblent avoir positivement stupéfié la foule, peu habituée à un tel spectacle." La France avait inscrit la bagatelle de 12 essais : par Savonne(3) F.Cantoni(3) Dop(2) Jimenez, Carrere,Moulis et Duplé chacun un . Poursuivant sa marche victorieuse sur Sydney , le XIII de France écrasait à Melbourne, l'état du Victoria, le samedi 21 mai, par 44 à 2 . Là encore, les Français se payèrent le luxe d'une douzaine d'essais : Ducasse , Larroudé, Moulis Duplé chacun une paire ; Jimenez , Contrastin ,Delaye et Save un par personne . Ainsi l'équipe de France faisait sa rentrée à Canberra, capitale fédérale de l'Australie, avec 123 points à son tableau de chasse . C'était pour le moins impressionnant . Trop peut-être, car l'équipe de Monaro Division, trouvant devant elle des joueurs fatigués par le voyage et trois matches joués en six jours, se crut autorisée à distribuer un peu de " pain béni" . Comme dans ce domaine, également les Tricolores n'ont jamais été des ingrats, la bagarre éclata . La police dut intervenir pour calmer la foule . L'arbitre ne voulant pas entrer dans le détail, complexe, des responsabilités limitées, décida comme l'eût sans doute fait le roi des Salomons lui-même, d'exclure l'Australien Moon et le Français Moulis . Le match s'acheva dans un calme très relatif et, pour la première fois , les Tricolores s'inclinaient : 11 à 3 . Ce n'était, hélas ! pas un accident . Le XIII de France s'était fait de trop douces illusions . Dans la facilité, il s'était laissé détériorer par un individualisme néfaste. Devant la très forte sélection de Sydney, et dans la gadoue où les Tricolores ne sont jamais à l'aise, ce fut l'enterrement de première classe : 25 à 0 ! On avait du mal à le croire . Fort heureusement René Duffort arrivait en renfort avec ses onze braves qui, avant de partir de France, avaient pris le temps d'aller rosser les Gallois (24.11) à Nantes . Ce deuxième commando comprenait Audoubert, Vanel, Jammes, Montrucolis, Guilhem, Voron, Rey, Delpoux, Teisseire, Merquey et Gilbert Benausse.Trois jours après à Narrandera , l'équipe de Rivérina , encouragée sans doute par l'exemple de Sydney, joua avec un tel esprit agressif que deux de ses joueurs, Alan Stanton et Jack Slavin, furent suspendus pour un an. Mais le XIII de France perdait Jammes, envoyé à l'hôpital et le match par 29 à 27 . Le redressement amorcé à Narrandéra se poursuivit le samedi suivant, le 4 juin, à Sydney , face à la sélection de l'état de Nouvelle-Galles du Sud . Comme à son habitude, la France fit un match mémorable au Sydney Cricket Ground . Dès les premières minutes, les Tricolores perdaient Berthomieu ( main brisée) . Réduits à douze, ils construisaient néammoins un jeu de grande classe, rapide, alerte, varié, tant et si bien qu'après avoir été menés 22-18 à quatorze minutes de la fin, l'équipe de France tenait la Nouvelle-Galles du Sud en échec (24-24) alors qu'il ne restait que deux minutes à jouer. Ce fut le moment dramatique qui décida du sort du match. Pressés sur leur but , les Français tentaient de se dégager pour sauvegarder cette demi-victoire . Il suffisait d'entendre les encouragements du public pour comprendre que le XIII de France, retrouvé, restait l'enfant chéri de Sydney. Berthomieu, l'invalide, qui avait exigé de rester sur le terrain, reçut le ballon . Avec sa main brisée il ne pouvait pas le passer à un partenaire; alors oubliant la douleur, il fonça . Un rude gaillard ce "Hugues"!! Il gagnait un, dix, vingt mètres . Dejà le stade, bouleversé par son sacrifice, l'acclamait quand un avant australien, le grand pilier chauve Roy Bull, le percuta par le travers . En d'autres temps Berthomieu n'eût pas bronché sous le choc. Je me souviens d'une des ses confidences. C'était après la victoire de la France sur la Grande-Bretagne au Parc des Princes, cette même année : " j'ai eu du mal à respirer pendant le match, je dois être enrhumé!". Une semaine plus tard , le Docteur Bonpunt révélait que Berthomieu respirait mal car il avait deux côtes cassées! Mais ce jour-là à Sydney, sous le terrible choc de Bull, il perdit la balle . Le demi d'ouverture international Darcy Henry ramassa le trésor et alla marquer sous les poteaux. Cruellement, injustement, le XIII de France était battu 29 à 24 .Après la déception des Tricolores devant Sydney ,cette mince- et combien injuste- défaite subie devant la sélection de Nouvelle-Galles du Sud, comblait d'aise le public australien, heureux d'avoir retrouvé les " impredictibles Frenchmen". La match avait été vivant, avec cette chaleur humaine, cette communion parfaite du public et des acteurs où le joueur, par la grâce du rugby , oublie sa simple condition d'homme et rejoint pour une heure Lancelot du Lac et le chevalier Perceval. Le " Sun Herald" titrait: " CHAMPAGNE AGAIN " Mais l'équipe de France était soucieuse . Elle sentait parfaitement ses imperfections et redoutait ses faiblesses. La blessure de Berthomieu n'était pas faite pour arranger les choses. Brave Berthomieu qui avait retrouvé une deuxième jeunesse en partant l'année précédente, chasser le crocodile au Tchad pendant six mois! Sa vaillance légendaire , sa renommée de vieil international donnaient confiance aux jeunes tricolores et rendaient méfiants les vieux "Kangourous". Il aurait été bien utile précisément, notre "Hugues" national, à Wollongong pour tenter de mettre fin à cette noire série de quatre défaites. Wollongong, à lui seul, justifierait l'appelation de Nouvelle-Galles du Sud, donnée au plus puissant des Etats d'Australie. Cet important centre charbonnier et métallurgique dresse ses cheminées à moins de 100 kilomètres au sud de Sydney . C'est un peu le Swansea du Pacifique et, comme les mineurs de Nouvelle-Galles du Sud n'ont aucune raison d'avoir la tête moins solide que leurs confrères gaéliques, un match à Wollongong n'est jamais une partie de plaisir. Celui-ci n'échappa point à la règle. Le puissant paquet d'avants de la sélection méridionale de Nouvelle-Galles du Sud fit la loi. Dominés dans les corps à corps, les Tricolores eurent beau essayer d'aérer le jeu, ce fut en vain. Les attaquants français, malgré leurs talent et leur volonté, furent étouffés . Un essai de Voron, trois buts de Duplé, c'était insuffisant . Les Australiens qui menaient déjà 12 à 4 à la mi-temps, l'emportaient par 16 à 9 . A six jours du premier test, ce n'était guère encourageant. Le mal était profond . Les attaquants étaient certes de qualité, les avants avaient à la fois la puissance, la vitesse et la technique désirables, mais l'ensemble du XIII de France, sans doute trop vite rajeuni, manquait de la cohésion, de la technique collective indispensables pour mater la force impétueuse des colosses australiens. Après avoir longuement réfléchi, Antoine Blain, Jean Duhau et René Duffort décidaient de placer, Berthomieu, malgré sa main blessée ,en première ligne. C'est "Hugues" lui-même qui, la veille du match, était allé voir Duhau. - Je sais, Jean, que tu veux me faire reposer. Mais, crois moi, il faut un vieux comme moi dans ce paquet d'avants . Si je ne suis pas là pour les conseiller , les encourager, ils vont de désunir. Avec un bon bandage et une piqûre de novocaïne, je peux jouer. Berthomieu joua donc et fut même excellent.. Mais, sur le terrain boueux du Sydney Cricket Ground, la foule record de 98.000 personnes ( il y avait , on ne sait trop comment, 700 spectateurs de plus qu'un 1951) assista au succés du jeu solide, direct, sans romantisme et sans faiblesse, des "Kangourous". L'Equipe de France avait été constitué ainsi : arrière : Benausse; trois-quarts:Ducasse, Merquey,cap, Rey , Voron; demi d'ouverture: Jimenez, mêlée: Dop Troisième ligne: Duplé; deuxième ligne : Pambrun, Delay ; première ligne: Vanel, Moulis, Berthomieu. L'Australie de son côté, présentait Churchill capitaine, Flannery,Wells, Watson,Kite: ouverture, Henry: mêlée:Holman. Diversi, Davies, Holloway, Bull, Kearney, Hall. Dans le camp français, seuls Merquey et Dop et Delaye avaient participé à la tournée de 1951 aux antipodes . L'Australie, en revanche, alignait huit joueurs ayant affronté la France en 1951 ou venus en Europe pendant la saison de 1951-52 à savoir : l'arrière Churchill, l'aile Flannery-Wells, le demi de mêlée Holman et quatre avants, parmi les plus solides que l'Australie ait possédés ; la première ligne de fer : Hall, kearney, Bull et le fameux deuxième ligne Brian Davies. Toutes les craintes françaises furent confirmées . Sur le terrain lourd, le pack tricolore était lentement mais impitoyablement démantelé et, une fois de plus, les attaquants de France devaient se dresser en dernier rempart. Le match fut donc sans histoire . Rois du terrain en avant, les Australiens étaient invulnérables . Il fallait beaucoup de courage aux Tricolores, pour n'être menés à la mi-temps que 5 à 0 . un essai de Kite transformé par Davies . Ils provoquaient même une courte sensation, dix minutes après la reprise en revenant à 7-5, un essai de Ducasse transformé par Duplé ayant succédé à un but de Holman. Mais la menace française était rapidement écartée. Tandis que Benausse devait quitter le terrain pour se faire soigner sur la touche, les "Kangourous" marquaient trois essais en dix minutes, un par l'énorme centre Wells et deux par le demi de mêlée, le vif-argent Keith Holman . Brian Davies ayant transformé les deux essais de Holman, l'Australie menait 20 à 5. Dans le dernier quart d'heure, le XIII de France trouvait enfin sa cohésion. Il dominait à son tour très nettement, mais, seul le brave Berthomieu pouvait marquer..La France s'inclinait donc par 20 à 8 . Le lendemain, la petite troupe française s'envolait pour le Queensland, sa bête noire, avec six défaites consécutives . Un certain découragement commençait à se lire sur le visage des Tricolores. LA LOI MARTIALE Antoine Blain, Jean Duhau, et René Duffort étaient plus inquiets encore que les joueurs en partant pour ce terrible Queensland, terrain maudit de la tournée de 1951 . Dès leur arrivée à Brisbane, les Tricolores se mesuraient en nocturne, à la sélection de Brisbane où l'on retrouvait les internationaux Hall, Davies , et Watson . La France qui avait perdu Voron et Berthomieu dans le premier test ainsi que Delaye hospitalisé à Sydney, avec une fracture de la colonne vertébrale récupérait Constrastin. Cette rentrée fut déterminante . Déchaîné, " Tintin" marqua deux essais et, entraînés par son exemple, les Tricolores livraient un match dans le plus pur style des " Flying Frenchmen" . Fernand Cantoni, Delpoux, Save marquaient à leur tour et les Français quittaient l'Exhibition Ground, vainqueurs (21-11) et acclamés. Le vestiaire des Tricolores avait enfin retrouvé ses chants, ses rires et ses plaisanteries ; La preuve était faite que l'équipe de France pouvait réaliser de grandes performances si elle gardait cohésion, son enthousiasme . Maintenant, il ne fallait pas disperser ses efforts. Le prochain objectif sérieux c'était , cinq jours plus tard, le samedi 18 juin, le match contre le QUEENSLAND, à Brisbane . Pour mieux préparer ce match capital, le triumvirat décida de sacrifier le difficile voyage à Toowomba prévu le mercredi 15 juin. Tandis que la meilleure équipe possible était préparée à Brisbane, pour le choc contre le Queensland, les réserves avec un Constrastin qui n'avait besoin que d'un peu de compétition, allaient subir un terrible 35 à 6 .La presse australienne parlait de Waterloo . Mais dans le camp tricolore on s'inquiétait davantage des blessures de Contrastin, victime d'une nouvelle élongation à la cuisse, et de Guilhem, touché au genou dans la boue de Toowomba, que de l'énormité du score. Toute la volonté de l'équipe de France était tendue pour réussir une grande performance devant le QUEENSLAND afin de provoquer le choc psychologique indispensable . Bill Corbett, habitué à suivre toutes les tournées internationales, écrivait dans le " Brisbane Telegraph" : " l'Equipe de France connaît actuellement un régime draconien . Jamais une équipe en tournée n'a obéi à une discipline aussi rigide ". Antoine Blain n'avait pas digéré encore les six défaites subies consécutivement dans la Nouvelle-Galles du Sud . Le "Turc", sachant fort bien que ce match contre le QUEENSLAND pouvait être un tournant décisif dans la tournée, avait décrété la loi martiale.Tous les valides étaient sur le pied de guerre, du matin au soir . Entraînements, promenades de détente le long de la Brisbane River, conférences techniques et couvre-feu à 20 heures . Et, pour que les blessés eux-mêmes puissent participer activement à cette mobilisation générale, ils allaient, boiteux et éclopés, claudicant derrière Antoine Blain, aux mille et une réceptions offertes aux Tricolores . Qui pourra dire combien Berthomieu, Voron, Contrastin, Guilhem et Teisseire, ont vidé de chopes de bière et écouté de discours? Enfin le samedi 18 Juin, dans les vestiaires de Gabba Park, on avait la conviction que la France allait enfin affirmer ses possibilités. Le terrain était pourtant très lourd, mais on sentait chez les avants français une détermination à toute épreuve . Et puis, la première ligne était sans doute la meilleure que le XIII de France ait pu aligner dans cette tournée avec Vanel, Audoubert, Montrucolis, trois avants rudes sachant faire bloc et formés à l'école Lyonnaise, la meilleure du moment dans l'organisation du pack. Pourtant le Queensland, une fois encore prenait un remarquable départ. Ne laissant pas aux Tricolores le temps de mettre leur tactique au point, les Queenslanders, jetant d'entrée toute leur fureur, marquaient presque aussitôt . Sur une mauvaise sortie de mêlée, près des buts, le deuxième ligne Drew plongeait sur la balle et marquait . La transformation de l'arrière Pope permettait au Queensland de mener 5 à 0 . Sous le coup, la défense française était un peu désemparée . Une longue échappée de 50 mètres du puissant ailier Kangourou Ryan était stoppé par Dop, ultime défenseur . Les Queenslanders crachaient le feu et ne laissaient pas le temps à la défense tricolore de souffler, de se regrouper . Sur un tenu, le deuxième ligne Furner s'échappait et lançait le centre Laird à l'essai. Pope réussissait la transformation et le Queensland menant 10 à 0 après un quart d'heure de jeu , semblait irrésistible. Après ce deuxième essai, les Queenslanders éprouvèrent tout de même le besoin de souffler un peu . Ce fut suffisant pour que les avants de France , aiguillonnés par Montrucolis , se ressaisissent. On vit rapidement que quelque chose était changé dans la mêlée française. Les avants tricolores, sobres, méthodiques, entamaient une gigantesque bataille. Les Queenslanders ne cédaient le terrain que pouce après pouce, mais ils cédaient . Lancé derrière un tenu, aux 50 mètres, Montrucolis d'un raffut à décoller la tête à tout homme normal, repoussait la placage, d'un, deux, trois adversaires et s'arrachait à la meute . Aux 22 mètres, il voyait à sa gauche la silhouette mince et racée de Roger Rey qui, de sa longue foulée dévorante, allait marquer près des poteaux. Gilbert Benausse réussissait la transformation et la France revenait à 5-10. Cette fois, c'était bel et bien le réveil tricolore . Les Queenslanders maintenant n'avaient pas un instant de répit . Les avants de Montrucolis muselaient leurs redoutables adversaires comme ils ne l'avaient jamais fait depuis le début de la tournée et, derrière, le trio offensif Benausse, Rey, Merquey, s'imposait dans toute sa splendeur. Sur une attaque des trois-quarts du Queensland, Rey, dans une détente de ressort , percutait Laird, son vis-à-vis, qui lâchait le ballon. Merquey, que ce genre de choses n'a jamais laissé indifférent, cueillait la balle en plein élan, au nez et à la barbe de Watson et, trois secondes plus tard, il plantait l'essai sous les poteaux . La transformation, réussie sans peine par Gilbert Benausse, permettait à la France de rejoindre le Queensland : 10 à 10 . La bataille d'avants faisait rage et il n'était pas douteux que le pack qui fléchirait le premier provoquerait la perte de l'ensemble. En attendant cette minute de vérité, une faute de main de Dop allait coûter cher au XIII de France . Sur une balle perdue dans la boue, le demi de mêlée Connell donnait un grand coup de pied. A la réception, Dop perdait le contrôle du ballon qui roulait encore sur le terrain gras . Connell arrivait encore le premier, tapait à nouveau et marquait entre les poteaux. Une nouvelle transformation de Pope et le Queensland, après une demi-heure de jeu, reprenait la tête : 15 à 10 . Mouillés, crottés, mais pas le moins du monde abattus, les Tricolores repartaient au combat sans discuter et sans mollir. - Come on , Queensland! hurlait la foule pour encourager les siens, mais c'était les avants de France qui refoulaient les Queenslanders . Sur une attaque amorcée par Duplé et poursuivie par Dop, l'incomparable Gilbert Benausse s'engouffrait dans une faille de la défense . Coincé, il tapait à suivre, de sa foulée courte et nerveuse, il décramponnait tout le monde cueillait la balle au bond et plongeait dans l'en-but, enseveli aussitôt par une demi douzaine d'adversaires . Duplé manqua la transformation, mais la France revenue à 13-15 à cinq minutes de la mi-temps, faisait feu des quatres fers. Sur toute sa largeur du terrain, les offensives françaises se succédaient en vagues . Enfin, Cantoni provoquait la brèche, recentrait sur Merquey . La balle allait encore de Merquey à Cantoni et de Cantoni à Merquey qui vrillaient la défense avec un culot monstre . Merquey renversait l'attaque sur Rey qui lobait l'arrière Pope d'un petit coup de pied, avant de plonger victorieux sous les poteaux. Gilbert Benausse ajouta les deux points de la transformation et les Français regagnèrent le vestiaire avec 3 points d'avance (18-15) Cette fois le XIII de France tenait le grand succès qui lui manquait depuis le début de la tournée et il n'était pas décidé à le laisser échapper. Pourtant il dut encore livrer un combat épuisant qui le laissa sans force et la foule sans voix. Peu après la reprise, l'arrière Pope obtenait un but de pénalité et le Queensland n'avait qu'un tout petit point de retard (17-18) Un essai, un but ou un drop suffisait pour renverser la situation. Les avants du Queensland secouèrent la tête, grattèrent le sol et foncèrent. Alors les avants de France se transformèrent en machines à plaquer . Au lieu de prendre de face les farouches gladiateurs du Queensland, ils firent une défense en tenaille. Derrière le tenu, les énormes avants du Queensland se lançaient aveugles, droit devant eux, en gardant leur balle jalousement serrée sous le bras. Leur tactique était simple : laisser la balle le moins possible à ces diables de Français et répéter leurs coups de bélier jusqu'au moment où la défense tricolore finirait par craquer. C'était tellement évident que le public se passionna pour ces charges d'aurochs qui devaient ouvrir le chemin des buts français. - Come on , Queensland ! Come on , Queensland! hurlait la foule , et les Queenslanders multipliaient les assauts . Sur le bord de la touche , René Duffort et Jean Duhau consultaient anxieusement leur montre. - Cela fait un quart d'heure qu'ils n'ont pas perdu la balle et ils ne sortent pas de nos 22 mètres , disait Duffort. Les Queenslanders ne perdaient pas la balle, mais les Français gardaient la tête froide et les jambes solides. Pour stopper les assauts frénétiques, ils avaient préféré tendre un filet que de dresser un mur . Prendre les avants du Queensland " bille en tête", c'eût été courir au suicide. Le plan français était plus astucieux. Vanel, Audoubert et Montrucolis avaient décidé d'employer la méthode lyonnaise qui était un peu semblable à celle dont Scipion l'Africain usa pour combattre les fameux éléphants d'Annibal à la bataille de Zama . Ne pouvant stopper leurs féroces adversaires de face sans risquer de se rompre le coup, les avants français, voyant qu'ils partaient individuellement avec l'intention ancrée de ne pas passer le ballon, les laissaient volontairement s'infiltrer pour mieux les prendre en tenaille. Ainsi, deux avants français prenaient "en charge" le Queenslander isolé . Venant de travers, de chaque côté, l'un lui coinçait les jambes et l'autre le renversait en le prenant aux épaules. Ce régime dura vingt minutes . Après quoi le "blitz" toucha à sa fin. Ecoeurés par ce traitement, les solides Queenslanders voulurent changer de tactique . Ils ouvrirent donc. Mal leur en prit . La balle, enfin, se mit à circuler et c'est au moment où l'arrière Pope relançait une attaque que Merquey surgit pour lui souffler une passe au centre Laird . L'interception a toujours été l'arme favorite de Jackie Merquey . D'un coup de rein, il eut vite fait de laisser sur place Laird et Pope et de déposer la ballon sous les poteaux. Benausse transformait et la France menait 23 à 17 . Le Queensland épuisé s'avoua alors vaincu, laissant la suprématie aux Tricolores pendant le dernier quart d'heure. "LA FRANCE A PERCE GRACE A SON EBLOUISSANT MERQUEY" titrait le " Brisbane Telegraph" . En fait, sans vouloir ternir l'éclat de la performance de Merquey, il faut bien dire que ce succès capital fut moins l'oeuvre d'un exploit individuel que la patiente construction de tous les membres de la tournée. Sans doute eut-il pu changer la face de cette deuxième croisade australienne? .le choc psychologique était cette fois créé. Le XIII de France, libéré du complexe de l'invincibilité des " Kangourous" qui s'était insinué dans ses rangs, retrouva son visage triomphant des heures glorieuses de 1951. Le lendemain de sa victoire sur le Queensland, l'équipe de France écrasait le Queensland central à Rockhampton, par 40 à 24 . Puis elle s'envolait pour Barcaldine à l'intérieur du continent . Le voyage aérien fut épouvantable et l'avion déposa à Barcaldine des Tricolores livides aux jambes molles. - Messieurs , dit Jean Duhau , aussi malade que les joueurs qu'il accompagnait, l'avion a du retard, le match est dans une demi-heure, alors je vous propose un petit gueuleton dans les vestiaires. J'ai tout emporté dans le sac aux équipements. - Bravo Jean ! s'écria Voron , un des rares qui pouvait encore parler. Tu es un père pour nous. Duhau défit les maillots méticuleusement. - Et le casse-croûte ? où est-il ? questionna Voron. - Le voici. Et Duhau sortit une orange pour chacun, comme s'il se fut agi d'une palombe rôtie et ajouta pince sans rire: -Remarquez, vous pouvez en laisser un peu pour la mi-temps , ne vous chargez pas trop l'estomac.! Tête des Tricolores qui, le mal de l'air passé, étaient victimes de sérieuses crampes d'estomac, tant il est vrai qu'un joueur de rugby n'a rien de commun avec un végétarien. - Messieurs, je vous faire une petite confidence . En 1924, lorsque j'ai été battu, en finale du championnat militaire, par un boxeur qui a fait une grande carrière, mais dont j'ai oublié le nom, j'ai été victime de la suralimentation. Pour emmagasiner des forces, je dévorais poulets, jambons ,et rôtis . Eh bien, j'ai terminé le match couché, pour plus que le compte, j'avais été mis K.O par un petit gringalet maigre comme un "stoquefiche" . Cela dit, bon appétit et en piste. Le championnat militaire de Jean Duhau avait mis toute l'équipe de bonne humeur et c'est le coeur léger autant que l'estomac, que les Tricolores entrèrent sur le terrain. L'affaire fut rondement menée et la Sélection Occidentale du Queensland s'inclina 29 à 14 . Les Tricolores affamés, avaient inscrits sept essais !. Aprés avoir dévoré le soir, une dinde géante, les Tricolores s'envolaient pour Cairns, à l'extrême nord de l'Australie. Station hivernale, à mi-chemin entre le Tropique et l'Equateur, Cairns était, en cette fin du mois de juin, au coeur de l'hiver austral. C'était le rendez-vous de tous ceux qui montaient de Melbourne et de l'Australie du Sud, pour retrouver sur les bords de la Mer de Corail un soleil tel que l'on aime en avoir sur les bords de la Riviéra. Après une journée sous les palmiers de Green Island, une des merveilles de la grande Barrière de Corail, les Français n'avaient guère envie d'aller livrer un match homérique, sous un soleil de plomb, dans la poussière du stade pelé de Cairns. Ils commencèrent donc assez mollement, face à la sélection du North-Queensland ; mais dans le feu de l'action, si l'on peut dire le ton monta . Enervés par le jeu rude et pas très académqiue des rugbymen de l'endroit, les Français se fâchèrent tout rouge. Rarement, ils avaient été aussi brillants, même aux plus beaux jours de 1951. Epuisés par le rythme des Tricolores, les infortunés sélectionnés du North Queensland tiraient une langue d'une aune, comme des pionniers privés de bière depuis le matin. Ce fut bientôt une impressionnante cascade d'essais, quatorze exactement. Cantoni et Delpoux en inscrivaient trois chacun Rey et Larroudé deux, enfin Vanel, Carrere, Audoubert et Levy un . On constatait également que Gilbert Benausse, l'élève de Puig-Aubert à l'A.S.Carcassonne, marchait allégrement sur les traces de son maître , puisqu'il réussissait 24 points de coups de pied à lui seul : 10 transformations un drop et un but. Après ce nouveau carton, l'équipe de France descendit vers Brisbane avec une petite halte à Townsville, le temps de rosser une autre sélection du Queensland ( 42 à 26) en marquant 8 essais accompagnés et 8 transformations et un but de Gilbert Benausse. Le retour triomphal du XIII de France faisait sensation à Brisbane . Les journalistes s'arrachaient Gilbert Benausse . Le nouveau buteur prodige de l'équipe était salué comme un nouveau Puig-Aubert. N"avait-il pas réussi 40 coups de pied sur 46 tentés dans les six derniers matches? Les Tricolores étaient accueillis avec tant d'enthousiasme que le triumvirat, Antoine Blain, Jean Duhau, René Duffort, dut proclamer à nouveau la loi martiale. - Protégeons-les de leurs amis, ils se chargeront bien de leurs ennemis, dit Antoine Blain. En fait d'amis d'ailleurs, Antoine Blain voulait surtout parler des petites amies. Car, il était là, le plus grand danger couru par le XIII de France. Installés au coeur même de Brisbane, Les Tricolores avec leur élégant uniforme, étaient une magnifique attraction . Une des manies australiennes les plus étranges, pour le tempérament cartésien des Français, c'était la collection des autographes. Les Tricolores eussent pu signer du matin au soir des ballons, des carnets, des cartons et de simples bouts de papier. Les plus acharnées étaient les jeunes Australiennes qui assaillaient l'hôtel dès le matin, en rangs serrés . Beaucoup voulaient simplement avoir une signature souvenir, mais certaines, plus audacieuses et non moins jolies, eussent volontiers fait plus ample connaissance avec ces champions que la presse féminine australienne appelait les " galant Frenchmen" . Certains Tricolores ne surent point résister au charme des beautés du Queensland . Il ne m'appartient pas de faire toute la lumière sur ces amours australiennes, mais je dois à la vérité de dire que ce ne furent que des cas isolés. Pour éviter que cela se renouvelât, Antoine Blain, Jean Duhau et René Duffort décidèrent de veiller personnellement sur la vertu de leurs joueurs. Le couvre-feu fut fixé à 20 heures . Tout joueur qui était surpris dans les couloirs, sans le motif impérieux d'aller satisfaire un besoin aussi urgent que naturel, était condamné à deux livres d'amende. Antoine Blain, Jean Duhau et René Duffort se chargèrent de l'application du décret en montant la garde à tour de rôle . Et si l'on en juge par les résultats obtenus, le repos du guerrier fut en tout point conforme à la morale, la vertu, et la relaxation... QUAND DOP PREND UNE CUITE....... Ce deuxième test Australie-France devait battre tous les records à Brisbane. Gabba Park qui avait contenu 35.000 spectateurs et fait 8952 livres de recette en 1951, allait recevoir 45.745 personnes qui déposaient 14.467 livres dans les caisses de la Rugby League . Mystère de la concentration humaine. Pour ce match capital, l'Australie avait gardé son fameux pack qui avait fait merveille au premier test, à une exception : le dur et dynamique Crocker remplaçait en troisième ligne Diversi, jugé trop mou pour la circonstance . On retrouvait donc en pilier le colossal Duncan Hall et Roy Bull le bien nommé, puisque Bull signifie taureau là-bas. Au talonnage il y avait toujours Ken Kearney, avec des cuisses d"haltérophile et un torse de lutteur et qui, pour être plus à l'aise dans la bataille, prenait soin de laisser ses deux dentiers dans une petite boîte au vestiaire, ce qui, au demeurant ne le privait point de mordant. Avec Brian Davies, le coffre-fort associé au gigantesque Holloway, le pack Kangourou était remarquablement outillé. Derrière cette équipe de déménageurs en tous genres, les sélectionneurs australiens espéraient que leurs attaquants pourraient préparer, en toute sécurité, quelques offensives cinglantes qui consommeraient la défaite française. Elles étaient de grande classe d'ailleurs, les lignes arrières des "Kangourous" avec la présence du robuste et dynamique Keith Holman à la mêlée, le remplacement de Henry à l'ouverture par l'espoir du Queensland Laird, l'association de deux centres type armoire à glace : Wells et Mc Caffery et enfin le très complet Clive Churchill, à l'arrière. Cette équipe d'Australie était donnée vainqueur à 6 contre 4 par les bookmakers. Tandis que l'Australie appelait trois nouveaux joueurs seulement: Laird , Crocker et Mac Caffery, le XIII de France faisait peau neuve. Gilbert Benausse peu à l'aise à l'arrière mais splendide à l'ouverture, cédait le poste d'ultime défenseur à Dop qui avait accepté de jouer bien qu'il toussât affreusement. Dop, l'enfant terrible, avait attrapé un refroidissement sous les Tropiques en buvant de la bière trop fraîche. La ligne de trois-quarts, Ducasse, Merquey, Rey, Voron, était conservée dans son intégralité . A l'ouverture, Jimenez était remplacé par Benausse . Dop devenu arrière, cédait sa place à la mêlée au petit Teisseire, dit le "Rat" pour son habileté à passer au milieu des défenseurs les plus hermétiques . L'intelligent et sobre Duplé était maintenu en troisième ligne . Le changement le plus radical avait lieu aux "fauteils d'orchestre" L 'athlétique Guy Delaye laissé à l'hopital à Sydney depuis le premier test, on avait pris deux joueurs de grande expérience, deux durs parmi les plus coriaces, en deuxième ligne: Berthomieu et Save . Enfin on avait replacé la tête de mêlée de fer : Vanel- Audoubert-Montrucolis. Cela commença pourtant d'une façon assez dramatique pour la France. A la première minute de jeu, une balle perdue près de nos buts était prestement ramassée par le demi d'ouverture Laird qui plongeait sous les poteaux. Transformation de Churchill et l'Australie menait 5 à 0 . C'était un rude handicap . Déjà le public croyait que les "Kangourous" allaient renouveller leur net succès du premier test à Sydney. Effectivement, les déménageurs au maillot vert dominèrent pendant une dizaine de minutes . Comme on l'avait constaté à Sydney, la nouvelle règle du tenu, selon laquelle les défenseurs pouvaient se placer à un mètre, favorisait considérablement le jeu des avants . Il exigeait de ceux-ci beaucoup plus de puissance et de décision que de technique et d'intelligence. C'est ainsi que les Australiens purent exercer une pression sans relâche. Malgré tout, Gilbert Benausse, par un coup de pied de pénalité à la treizième minute, avait réduit le score à 5 - 2 . Et puis, deux minutes, plus tard ce fut un sensationnel renversement . Teisseire, le "Rat", notre demi de mêlée de poche, se jouait de Crocker et de Holman et s'échappait . Aussitôt nos centres Merquey et Rey, bondissaient à ses côtés . Dernier servi, Rey s'infiltrait en flèche au travers des ultimes défenseurs et allait jusque sous les poteaux. La facile transformation de Benausse permettait à la France de mener 7 à 5 . Deux minutes encore et Gilbert Benausse, impeccable buteur, réussissait un nouveau but de pénalité qui portait l'avance française à 9-5. La bataille était engagée a fond et l'on avait la confirmation que la puissance australienne était menaçée par la vivavité et le perçant d'un quatuor tricolore d'une rare subtilité avec Teisseire et Benausse en demis, Merquey et Rey au centre. Mais il en fallait davantage pour décourager les "Kangourous" qui sont, on le sait, costauds et entêtés. Par des coups de boutoir obstinés, ils s'approchèrent de nos buts . Sur une sortie de mêlée favorable, le blond Crocker s'arrachait en force, bousculait deux défenseurs qui tentaient de lui barrer le chemin et marquait près des poteaux. Churchill manquait la transformation et la France gardait un mince avantage de 9 à 8 . Le jeu n'était commencé que depuis vingt minutes et les avants français fléchissaient dangereusement, à tel point que le farouche Crocker, sur un départ de Davies, s'échappait au centre du terrain et traversant tout le camp tricolore avec une facilité surprenante, allait encore à l'essai près des poteaux. Churchill ratait à nouveau la transformation mais l'Australie reprenait la tête : 11 à 9 . Sous l'outrage, nos avants réagirent . Le jeu se stabilisa, mais la suprématie territoriale des "Kangourous" devait permettre à Davies et à Holman de réussir chacun un but de pénalité alors que Benausse ne pouvait en marquer qu'un seul. L'Australie menait donc 15 à 11 à la mi-temps. Ce retard n'aurait pas semblé catastrophique si le XIII de France avait mieux contenu les colosses d'en face. Hélas ! il n'en était rien . Malgré toute leur volonté, les avants français avaient subi totalement l'emprise adverse . On craignait un calvaire en seconde mi-temps. Aux vestiaires, il n'y avait qu'une seule personne pour croire au redressement de la France . C'était un Australien que les Tricolores n'ont jamais connu que sous son prénom : Jules. Jules était un petit vieux nerveux et bavard. Il ne quittait pas l'équipe de France pendant son séjour à Brisbane. La guerre de 14-18, il l'avait faite dans la Somme avec le corps expéditionnaire australien . Jules était revenu dans ses forêts du Queensland avec la croix de guerre et un profond amour pour tout ce qui était français. Il parlait d'ailleurs fort bien notre langue et il était si heureux de retrouver des Français, qu'il ne cessait de dire aux joueurs : - Flanquez-leur une bonne raclée, à ces Australiens! Les joueurs s'étaient laissé choir sur les bancs, fourbus . Dop grelottait de fièvre et Jules était aux cent coups. - mes pauvres enfants, mes pauvres enfants, il ne faut pas vous décourager . Moi, je suis sûr que vous allez gagner. Et, prenant Dop par les épaules, il lui dit : - Tiens, Jeannot, le vieillard t'a apporté des oranges de son jardin. - Ecoute, Jules, lui confia Dop à l'oreille . Ca ne va pas l'ami . je crache mes poumons . J'ai une fièvre de cheval . Si tu es un frère, tu vas me chercher un demi-litre de vin rouge chaud, sinon je vais caner sur le terrain. - Mais tu es fou, Jeannot. - Es-tu un frère ? - Ah ! oui, le vieillard est un frère pour toi. Et Jules fonça . Son séjour en France en avait fait un Australien beaucoup plus débrouillard que la moyenne. Il monta dans le salle de réception, réquisitionna un litre de bourgogne australien, se faufila jusqu'au bar d'où il revint triomphant, en bousculant tout le monde, un demi de vin rouge chaud et sucré dans une chope . Dop la vida d'un trait et retourna sur le terrain avec ses camarades, la démarche floue et l'esprit vague . Pour tout autre joueur, cette attitude eut semblé étrange mais il y avait longtemps que les fantaisies de Dop n'étonnaient plus personne aux antipodes. Dès la reprise, c'était un déferlement australien. Une attaque des trois-quarts, conduite par laird et mc Caffery, permettait à l'ailier Kite de déborder . Davies manquait la transformation mais il réussissait un but de pénalité peu-après et l'Australie menait 20 à 11, après quarante-cinq minutes de jeu. Les attaquants français allaient, une fois de plus garder le contact . Une échappée Teisseire-Benausse permettait à Merquey de percer la défense australienne . Arrivé seul sur Churchill il se jouait aisément de l'arrière australien et inscrivait l'essai sous les poteaux. Cette fois encore, la menace française fut de courte durée . Crocker, l'inévitable Crocker, provoquait une brèche, servait impeccablement le demi d'ouverture Laird lancé à pleine vitesse et c'était le cinquième essai des "Kangourous", facilement transformé par Davies. Le sixième essai suivait bientôt, grâce au deuxième ligne Holloway qui, d'un terrible coup de bélier, tout près des buts passait en force. Menant 28 à 16, alors qu'il ne restait que quatorze minutes à jouer, l'Australie ne pouvait plus être rejointe. Comme cela leur arrive souvent lorsqu'ils sont humiliés, les avants tricolores eurent une violente réaction. Vanel, Audoubert, Montrucolis, Berthomieu, Save et Duplé secouèrent le joug qui les retenait prisonniers depuis le début du match. Quelques départs en force et l'on vit que cette terrible bataille laissait les avants kangourous bien plus épuisés que leur souveraineté ne le laissait supposer. Alors on assista à la plus haletante fin de match qui se puisse imaginer. Le public découvrait avec stupeur que ses colosses s'étaient suicidés par leur excessif déploiement de forces . Bull, Kearney, Davies, Holloway et Crocker avaient soudain chaussé des souliers de plomb et le XIII de France l'avait si bien compris, qu'il précipitait le mouvement . Les 45.000 spectateurs consultaient leur montre . Plus que douze minutes et l'Australie remportait la série des tests . Maintenant les avants français balayaient le terrain . Les Tricolores avaient tout pour vaincre, sauf le temps qui semblait précipiter son cours. De l'arrière, Jean Dop contre-attaquait . Insaisissable feu follet , Dop traversait tout le camps australien pour arriver jusque sur l'arrière Churchill où il servait Rey qui marquait sous les poteaux . la transformation de Benausse réduisait le retard de la France à 28-21 . Plus que 7 points ! Mais il ne restait que six minutes à jouer et cela paraissait irréalisable . Chaque action française était un danger et soulevait des cris d'admiration autant que de frayeur chez les "bobby-soxers". Six, cinq, quatre trois minutes . Les Australiens, pour mieux gagner perdaient du temps, ce temps fatal aux Tricolores . A moins trois, Dop piqua une nouvelle crise . Comme un fou déchaîné, notre "Fra Diavolo" crochetait à gauche, à droite, partait vers l'aile, revenait au centre, feintait, s'arrêtait, repartait. Les cris redoublaient dans les tribunes et Dop avançait au milieu des Australiens, affolés, avec des bonds de lapin en rupture de clapier. Arrivé à 30 mètres des buts adverses , il servit Merquey qui, se jouant une nouvelle fois de Churchill marquait sous les poteaux. Benausse transformait et le XIII de France n'avait plus que deux points de retard. (28-26) Le stade délirait.- Come on , Frenchies ! Come on Frenchies ! Dans la tribune officielle Antoine Blain était blême d'émotion . Pour un peu, il eut regretté ce baroud d'honneur . A quoi bon renaître à l'espérance pour sombrer en touchant au port ? Echouer de deux points! C'était plus cruel encore que de perdre par un score plus net. Désespérément, courageusement, les "Kangourous", vidés de leurs forces tentaient de sauver leur succès en gagnant du temps . Plus qu'une minute . Les Australiens pour desserrer l'étreinte qui les asphyxiait, pour se donner de l'air et consommer les dernières secondes d'angoisse tapèrent un grand coup de pied droit vers les buts français. Dop se replia et ramassa la balle sur la ligne. Les "Kangourous" montaient vers lui, étalés sur toute la largeur du terrain . C'était la dernière balle, l'ultime chance française . Dop hésita un instant , puis il s'élança . Dans les tribunes on criait, on tapait des pieds, le vacarme était assourdissant . Dop feintait, fuyait de travers pour échapper à la poigne de l'énorme Davies. - Go on , little man ! Et Dop, à demi inconscient, se coulait au beau milieu des mastodontes, bloquait sa course pour faire s'écrouler dans la poussière un colosse qui fonçait sur lui, enfin il passait à Ducasse au moment même où la cloche retentissait . Cette fois c'était tout ou rien . Ce fut le triomphe total car Ducasse filait le long de la touche et plongeait en coin, victorieux. La France gagnait 29-28 . Elle laissait le stade abasourdi après la plus étonnante des remontées. La pelouse fut envahie par la marée humaine . Au beau milieu de la foule , un petit vieux gesticulait comme un démon , riant et pleurant à la fois et lançant dans son français délicieusement parfumé d'accent australien: - C'est le pinard de Jules ! C'est le pinard de Jules ! LA PRIERE D'ANTOINE BLAIN. Tous les espoirs étaient à nouveau permis au XIII de France après son incroyable succès . Tout était possible, à condition de tout mettre en oeuvre pour préparer d'arrache-pied le troisième et dernier test , fixé trois semaines plus tard , le 23 juillet , au Sydney Cricket Ground. Un regret , celui de perdre définitivement Guy Delaye qui , sorti de l'hôpital rechutait au premier entraînement et prenait le premier avion pour Paris . Les Tricolores , ne voulant pas entamer leur potentiel , refusèrent les âpres batailles d'avants que les diverses sélections régionales leur proposaient . Ainsi gagnèrent-ils le 3 juillet à Gympie (46-17) , le 5 à Ipswich (19-10) et s'inclinèrent de justesse à Newcastle par 15 à 14 . Ils devaient encore remporter un difficile succès le 13 juillet sur les Espoirs de Sydney (28-26) . ils furent dominés par la sélection de Nouvelles-Galles du Sud (37-23) le 16, à Sydney et enfin le 20 juillet , trois jours avant le dernier test , ils défirent à Parkes la sélection de la Province de l'Ouest par 11 à 8 . Dans ces matches sans grande portée , le XIII de France avait perdu son merveilleux demi de mêlée Claude Teisseire , blessé encore au genou , mais il avait retrouvé son ailier de grande réputation , Contrastin , et il avait aussi révélé la qualité et le sérieux du pilier d'Avignon , Jacques Fabre. Celui-ci fut incorporé et Montrucolis devint l'associé de Berthomieu en deuxième ligne . Pour prendre la succession de Teisseire , Duplé , l'homme à tout faire de l'équipe , glissa à la mêlée , laissant le poste de troisième ligne à Francis Levy , un catalan roux comme un Ecossais et teigneux comme un Gallois. Enfin , Constrastin prit la place de Voron à l'aile. Les Australiens gardaient leur confiance au pack qui , pendant plus d'une heure ,avait malmené l'équipe de France à Brisbane , au deuxième test. Confiance encore aux demis Holman et Laird et à l'arrière Churchill , mais la ligne de trois-quarts était bouleversée , on l'accusait d'avoir trop facilement manoeuvrer Dop , Merquey et Rey . Kite était conservé à une aile , Watson glissait de l'autre aile au centre mais les athlétiques Wells et Mc Caffery cédaient leur place à un jeune puncheur , le centre Poole et au grand kangourou Denis Flannery à l'aile. Les équipes étaient donc les suivantes : FRANCE : Arrière DOP 3/4 CONTRASTIN.MERQUEY(Cp)REY.DUCASSE. Ouverture BENAUSSE Mêlée DUPLE troisième ligne LEVY deuxième ligneMONTRUCOLIS.BERTHOMIEU. première ligne FABRE . AUDOUBERT. VANEL. AUSTRALIE CHURCHILL (cp) KITE.POOLE.WATSON.FLANNERY ouvertureLAIRD Mêlée HOLMAN . troisième ligne CROCKER deuxième ligneDAVIES.HOLLOWAY . première ligne BULL . KEARNEY. HALL. Malgré la pluie qui transformait le Cricket Ground en bourbier , le stade était une fois de plus comble . Sur un pareil terrain la tactique australienne était simple , voire simpliste : démolir la résistance française par la puissance de choc des avants . Ce plan appliqué à la lettre , obtint un premier résultat dès la septième minute de jeu , quand les avants kangourous ayant buté a plusieurs reprises sur la défense française dressée devant ses buts , provoquèrent une brèche ou Davies s'engouffra pour marquer en coin . L'Australie menait 3 à 0 et Jean Duhau avoua qu'il crut alors à un effrondement , tant il paraissait impossible d'arrêter les élans des avants australiens. Mais , dans la boue , les "Kangourous" commettaient quelques maladresses qui brisaient leur action et les Tricolores avaient le temps de se ressaisir. Les avants français stabilisaient le jeu . Le trio d'attaque Benausse-Merquey-Rey lançait quelques pointes offensives de grand style. On sentait qu'une seule occasion pouvait suffire à amener les attaquants français derrière la ligne de but australienne. Celle-ci éclata à la vingt-cinquième minute quand, sur une contre-attaque , Dop lança Merquey .Celui-ci élargit l'action qui , par Rey , Duplé et Benausse , démarqua Contrastin. Tintin n'attendait que cela . Il fonça donc , rageur, et signa son retour dans le XIII de France en marquant en coin l'essai égalisateur. Le jeu gagnait en passion et le moindre mouvement trouvait un écho exceptionnel dans ce stade en ébullition. Une clameur immense , qui mit longtemps à s'éteindre , salua , cinq minutes avant le repos , un but de pénalité de Churchill qui redonnait l'avantage à l'Australie (5-3) Voulant exploiter au maximum cette situation favorable , les "Kangourous" se déchaînaient après la mi-temps , tentant de bousculer les avants français et de passer en force .Mais la défense française galvanisée par un Berthomieu , combattant au grand coeur , ne flanchait point . Mieux même , à la cinquante-quatrième minute l'équipe de France tirait un véritable feu d'artifice . Malgré les conditions très difficiles , le XIII de France jouait à la main avec une merveilleuse rapidité. La défense australienne devait parer à gauche , puis à droite et , enfin Merquey s'infiltrait , servait Rey qui perçait et donnait à Duplé . De son allure ballotante , Duplé crochetait l'ailier Kite et Churchill , Davies arrivait en travers pour le plaquer et c'est alors qu'il fit une passe croisée à Ducasse qui marquait en assez bonne position. Gilbert Benausse , pas très heureux dans ses coups de pied ce jour-là , manquait cette transformation comme il avait échoué en première mi-temps après l'essai de Contrastin ainsi que dans une tentative de but , mais la France , follement applaudie prenait l'avantage 6 à 5 . Peu après , Benausse ratait encore un but de pénalité . Avec une réussite seulement normale , d'un coup de pied sur deux , la France eut alors mené 10 à 5 , alors qu'elle restait dans une situation très instable avec un tout petit point d'avance. A un quart d'heure de la fin , une faute australienne était pénalisée . Gilbert Benausse sachant qu'un buteur ne doit jamais insister après plusieurs échecs ,refusa de tenter le but difficile des 40 mètres en coin. Christian Duplé fut désigné par ses camarades pour cette tentative d'une importance capitale. En dehors du fait qu'il pouvait jouer trois-quarts centre, demi de mêlée ou troisième ligne , Duplé était un excellent botteur. Il se concentra et d'un coup de pied très puissant , réussit à lever parfaitement la balle . Ce but permettait à la France de mener 8 à5..... A Brisbane , les Australiens, fourbus , durent tenir quatorze minutes devant un XIII de France déchaîné qui arracha in extremis la victoire. Ici , ce furent les Tricolores qui , épuisés par l'impitoyable bataille dans la boue , craquaient . Les " Kangourous" n'avaient pas tenu avec 12 points d'avance , les Français le feraient-ils avec 3 points seulement? On en douta bientôt tant le forcing australien fut effréné.Avants et trois-quarts tricolores étaient mêlés dans une résistance désespérée mais leurs forces déclinaient , alors que la fureur australienne allait crescendo . Une , deux , trois fois , la meute française refoula de son propre en-but l'envahisseur sans qu'il pût mettre le ballon au sol. Et le public unissait tout le monde dans ses encouragements ; les "Kangourous" qui forçaient les Français dans leurs derniers retranchements et le XIII de France , arcbouté , le dos au mur , qui repoussait obstinément l'assaillant. A cinq minutes de la fin , Antoine Blain ne pouvant plus soutenir cette oppressante fin de partie , quitta la tribune officielle , descendit tout étourdi l'escalier en colimaçon et pénétra dans le vestiaire vide de l'équipe de France. Un ami français vivant à Sydney , René Gluck , craignant qu'il souffrît d'un malaise , le suivit . Le "Turc" était seul , assis sur une chaise . Il ne regardait pas la partie par la grande baie vitrée. Il avait plongé sa tête de tribun dans ses mains velues d'homme fort. -Qu'as-tu, Antoine ? - Rien...je prie. Il ne vit pas à une minute de la fin l'excellent arbitre Jack Casey pénaliser la France pour hors-jeu près de ses buts . Il devina au grand silence qui se fit , que les Australiens tiraient leur dernière cartouche , la plus dangereuse aussi , un "up and under" , ce grand coup de pied en l'air où la descente du ballon semble interminable pour les défenseurs , car toute la meute des avants adverses suit le mouvement. Churchill botta et ils se précipitèrent tous , saccageant les rangs français . ils voulaient férocement l'essai qui devait donner la victoire aux "Kangourous". Il y eut une farouche empoignade sous les poteaux pour la conquête du ballon , et puis , un grand cri. Antoine Blain , instinctivement leva la tête et il vit le petit bordelais Ducasse , celui que Jean Duhau appelait "l'oiseau tombé du nid" à cause de son allure d'enfant sage et chétif , qui s'agitait avec d'étranges soubresauts au milieu du paquet. C'était bel et bien le timide Ducasse qui avait pris la balle , en fermant les yeux pour ne pas voir ses bourreaux , et qui s'enfuyait , tandis que retentissait la cloche libératrice. Tant pis pour les visiteurs de la fédération . Ils en avaient encore pour quatre ans à regarder l'affreuse pièce montée d'argent du Goodwill Trophée; le XIII de France restait champion du monde. Les Tricolores quittaient l'Australie en abandonnant les techniciens à leurs problèmes . Et ceux-ci étaient grands car les spécialistes australiens admettaient moins encore qu'en 1951 que des joueurs de petit gabarit comme Dop , Teisseire ou Merquey jouant derrière un pack moins athlétique , aient pu de la sorte méduser et battre les "Kangourous". Avant de rentrer en France , les Tricolores allaient , une nouvelle fois , visiter la Nouvelle-Zélande en touristes . Sept matches en dix-neuf jours, un triomphe dans le premier test (19-9) une revanche difficile des "Kiwis" dans le second(11-6) . La tournée néo-zélandaise, comme c'était le cas n'était qu'un prolongement superflu , simplement destiné à entretenir des relations entre les deux fédérations. Il plut tant au cours de ce voyage au pays des Maoris qu'à Christchurch les joueurs pataugeaient dans un lac de boue , sous d'énormes trombes d'eau. Pour éviter un second refroidissement , Dop monta dans la tribune et les joueurs , l'arbitre et les spectateurs sidérés , le virent revenir déguisé en terre-neuvien avec un immense suroît de pêcheur lui tombant jusqu'aux chevilles et une casquette en toile cirée. Le retour fut plus rapide qu'en 1951 , Auckland , les Fidji , Hawai , Los Angeles où Jean Dop ,s'arrêta pour voir son oncle d'Amérique , New-York, Paris.même avec de bons vieux super-constellation à pistons , il y en eut juste pour quatre jours. Au Bourget , Le XIII de France retrouvait ses amis , ses parents et quelques officiels entourant Claude Devernois. Vaincre l'Australie , ce n'était plus pour lui , l'Himalaya. L'INCROYABLE RESURRECTION oh ! l'insolente nation guillaume III. Passé à son zénith , le XIII de France déclina . C'est la loi de tous les sports , de connaître de pareils crépuscules . Consacré pour la deuxième fois champion du monde en 1955 , il vécut encore une saison sur sa lancée. C'est ainsi qu'il domina la Nouvelle-Zélande dans la série des trois tests en France , remportant la première manche à Toulouse (24-7) , perdant la seconde à Lyon (31-22) et gagnant la belle à Paris (24-3) Puis vint la terrible saison 1956-1957 où les tricolores perdirent leurs trois tests en France contre les Australiens et la série des trois matches contre la Grande-Bretagne . La saison 1957-1958 n'était pas plus brillante puisque la Grande-Bretagne l'emportait encore. Le journaliste sportif est un curieux critique . Habitué a voir des pièces qui n'ont jamais été jouées auparavant et qu'on ne verra plus par la suite , il cueille l'instant qui passe et l'épingle à son calendrier. Pourquoi fallut-il que ce printemps vît , en même temps , la renaissance du XIII de France vainqueur de la Grande-Bretagne(24-15) à Grenoble et la fin tragique du plus grand des Tricolores , celui qui était tout le rugby : Max Rousié ? Pauvre cher "Maxou", comme tu aurais aimé voir , qu'après être tombé, comme toi , dans l'ombre, ton vieux et cher XIII de France revenait , lui aussi en pleine lumière ! Le but des responsables de l'équipe de France était de présenter en Australie , au cours de l'été 1960 , une équipe digne du prestige des Tricolores . Pour mieux préparer cette troisième croisade australienne aux antipodes, il fut décidé de sacrifier la saison internationale 1959-1960. La venue des "Kangourous" fut d'ailleurs une superbe occasion d'essayer de nouveaux internationaux. Sans doute les responsables de la sélection commirent-ils l'erreur de lancer trop vite leurs internationaux quinzistes , Barthe , Quaglio , Lacaze et Mantoulan , mais au printemps 1960 le XIII de France rénové , réussissait l'exploit de vaincre la Grande-Bretagne à Toulouse (20-18) dans un match homérique et allait obtenir un assez sensationnel match nul (17-17) à Saint -Helens , lors de la revanche prévue quelques semaines plus tard. Lorsque le 8 mai, au soir même d'une fameuse finale Roanne-Albi , le XIII de France s'envola de Toulouse pour sa troisième campagne aux antipodes , il ne comportait que deux joueurs de la tournée 1955 :Antoine Jimenez et Gilbert Benausse.L'expédition française qui s'envolait dans la tiède nuit toulousaine était ainsi constituée : Directeur : Antoine Blain Directeur adjoint : Guy Vassal Entraîneurs : René Duffort et Jean Duhau. Arriéres : Pierre Lacaze ( Toulouse) et Louis Poletti ( Carcassonne) Ailiers: Jacques Dubon , Jean Foussat , et Raymond Gruppi (Villeneuve) René Benausse ( Lézignan) Jean Verges ( Montpellier) et Alain Perducat (Roanne) Centres : Gilbert Benausse ( Lézignan) Claude Mantoulan ( Roanne) Jean Darricau ( Lyon) Ouvertures : Antoine Jimenez ( Villeneuve) et Robert Moulinas (Avignon) mêlées: Bernard Fabre ( Albi) et Joseph Guiraud ( Montpellier) 3éme lignes: André Lacaze ( Villeneuve) Georges Fages (Albi) et André Marty ( Carcassonne) 2émé lignes : Jean Barthe et Robert Erramouspe ( Roanne) Yves Mezard (Cavaillon) Roger Majoral ( Perpignan) Piliers : Aldo Quaglio ( Roanne) Marcel Bescos ( Albi) Angelo Boldini (Villeneuve) et Francis Rossi ( Marseille) Talonneurs : André Casas ( Perpignan) et André Vadon ( Albi ) Alain Perducat , héros de la finale et sélectionné de dernière heure , partait une semaine après et devait rejoindre le gros de la troupe directement à Sydney. En effet , les Tricolores se séparaient en deux équipes à Djakarta . L'une conduite par Guy Vassal et René Duffort passait par Peth pour y rencontrer la sélection de l'Australie Occidentale , tandis que l'autre , dirigée par Antoine Blain et Jean Duhau , s'arrêtait à Darwin pour célébrer le centième anniversaire du Territoire du Nord. Le XIII de France signalait son arrivée en Australie par un double triomphe : 42-14 à Darwin et 29-8 à Perth , où l'on avait envoyé l'équipe qui devait , en principe, servir de base pour les tests. A Perth , Mantoulan , auteur de trois essais , et G.Benausse avaient été souverains."Papillon" Lacaze , étourdissant , réussissait quatre transformations sur cinq et deux buts de pénalité dont un en drop des 45 mètres du bord de la touche. C'est donc le coeur allègre que l'équipe de France retrouvait son habituel quartier général de l'Olympic Hotel , avec ses chambres froides à trois lits , ses servantes qui ont l'air de vous faire une fleur lorsqu'elles daignent vous apporter le potage , et son pub enfumé , ses buveurs entassés , son odeur de bière , son piano désaccordé avec la même chanteuse , un peu fanée , qui massacrait les mêmes refrains. Le temps à peine , de défaire les valises et René Duffort appelait les joueurs sur le terrain. On n'avait pas le matériel pour contrer les "Kangourous" en force. Alors on allait tenter , selon le méthode française , de les prendre de vitesse , de les affoler par une condition physique impeccable. L'équipe de France passa ainsi le plus clair de son temps à courir dans les parcs voisins ou à manipuler le ballon sur le terrain annexe du Cricket Ground . A ce régime , Boldini lui-même commençait à maigrir. Si René Duffort assurait la direction technique , Jean Duhau se chargeait d'entretenir au sein de l'équipe de France cette bonne humeur sans laquelle les rugbymen de France ne sauraient vivre. Chacun eut , au bout de quelques jours , un surnom décerné par Jean Duhau. Poletti , mince et d'apparence fragile , devint "Guinguille". Jean Barthe , superbe et mystérieux, fut "Ben-Hur" . Fages , que l'on avait du mal à réveiller le matin , c'était le "Koala" , ce charmant ourson australien n'ouvrant les yeux que pour manger les feuilles de l'eucalyptus sur lequel il dort . Il y eut encore le "capitaine F.F.I", alias Guiraud , qui fut promu capitaine de l'équipe réserve simplement parce qu'il était l'aîné de la troupe. Fabre, joli garçon aux moustaches conquérantes , fut le "danseur mondain" et Mezard avec son délicieux accent provençal , devint "Mon Beau" , exclamation qui lui était familière et qui nous enchantait. Il y eut aussi Moulinas , le "Baby" pour sa mine d'enfant sage , Quaglio "Santé" Vadon "L'Aveugle" parce qu'il était le seul à porter des lunettes . Enfin Bescos fut le " Bénédien" . Duhau affirmait que pour être aussi costaud , Marcel était , tout comme lui-même , envoyé spécialement de la planète Bénédie pour étudier le comportement des terriens. Je n'échappai pas à la règle commune , je devins donc " French l'Equipe" , tout simplement parce que c'était la contraction que Bill Moore , masseur du XIII de France à perpétuité , avait imaginée pour me présenter aux officiels comme étant l'envoyé spécial du journal français "l'Equipe". Enfin il y avait ceux qui avaient déjà un surnom qui leur collait bien et que Duhau n'estima pas utile de débaptiser : Jimenez "Totole", Mantoulan " La Mantoule" , Pierre Lacaze " Papillon" Gilbert Benausse " Bajole" et Antoine Blain , "Le Turc" . Victorieux le 18 mai à Canberra devant Monaro Division(25-17) , puis à Newcastle (14-10) , le samedi 21 mai , devant la rude sélection de cet important district industriel , à une centaine de kilomètres de Sydney, les Tricolores crurent un peu vite à leur invincibilité.Le lendemain dimanche , ils comprirent à Kempsey que , dans une tournée , une équipe de France est victime de la moindre faiblesse devant des sélections régionales qui jouent toujours le match de leur vie. De Newcastle , ceux qui n'avaient pas joué la veille s'envolèrent donc pour Kempsey . Le voyage fut épouvantable . Le petit DC3 paraissait au bout du rouleau , il n'arrivait pas à prendre de l'altitude et il tangua tant et si bien que tous les tricolores avaient la tête enfouie dans le sac en papier. L'atterrissage faillit être catastrophique . Boldini s'étant levé , l'avion chavira et se posa sur une roue qui éclata . En descendant de la carlingue , les "Flying Frenchmen" avaient plutôt l'oeil vitreux et les jambes molles des agonisants. L'accueil fut chaleureux à l'aérodrome de Kempsey . Un imposant cortège de voitures américaines , précédées par les motos de la police , fit entrer le XIII de France dans Kempsey en fête. Avec ses larges rues , ses maisons de bois , la ville était une version modernisée des cités de cow-boys. Devant l'hôtel où l'équipe de France devait prendre un peu de repos , la clique municipale reçut les Tricolores par une "Marseillaise" non point vibrante mais jouée en fox-trot avec des mesures supplémentaires que l'on a, on ne sait trop comment, exportées dans la version australienne. Le match , très serré , enchanta les populations laborieuses de l'endroit mais désespéra Jean Duhau . Cette première défaite était vraiment trop bête , car malgré leurs jambes de flanelle , les Tricolores avaient arraché le match nul à 23 partout quand , à l'ultime minute sur une balle perdue par les Français à quelques mètres de leurs buts , le centre Williams marquait. La France était ainsi battue 28-23. Le banquet fut triste ce dimanche-là. Pourtant , fidèles à la tradition hospitalière de l'Australie , les dirigeants de Kempsey avaient bien fait les choses : langoustes énormes mais sans mayonnaise , riz au curry , crevettes géantes , dindes , poulets , bière à pleins brocs. Un seul défaut d'ailleurs à ce genre d'agapes en Australie , il n'y avait pas de service et dans le tas de plats généreusement entassés sur la table , chacun piochait au gré de sa fantaisie. Au dessert , en France , cela finit toujours par des chansons; en Australie , un banquet s'achève surtout par des discours. Toute la table d'honneur doit y passer . Ce soir-là il y en eut douze et comme cela semblait un peu juste à nos amis de Kempsey , on vint chercher Jean Duhau , puis je fus entraîné sur l'estrade. Par malchance notre ami René Gluck fut promu interprète , aussi dûmes-nous écouter tour à tour la version originale et de la version doublée .Mauvaise journée assurément . Bien que tous les discours australiens aient affirmé que nous étions les plus forts , nous n'avions pas vaincu et , ça , c'était le principal.Le mercredi 25 mai à Wagga-Wagga ( en dialecte aborigène : le pays des corbeaux) , les Tricolores eurent le même chaleureux accueil . Sachant que nous aimions les steacks , on nous en servit d'énormes et cuits à points. La sélection de Riverina , championne des Provinces de Nouvelle-Galles du Sud , était très forte mais le XIII de France avait grande allure. Sous un soleil estival , devant un public record qui débordait qur la pelouse , les Tricolores dictèrent leur loi(25-14) , avec une exceptionnelle autorité , à cette équipe de Riverina qui s'enorgueillissait d'avoir battu la France en 1951 et la Grande-Bretagne en 1958 . Barthe , en superforme , fit , en troisième ligne , un match digne de sa légende. On retrouvait celui qui , sous le maillot du XV de France , avait été consacré le meilleur avant du monde en Afrique du Sud. A ses côtés , on avait la confirmation que Jean Darricau , à la mêlée , était digne de disputer un test , les deux essais qu'ils inscrivit furent parmi les plus beaux de la tournée. Mais , pour flatteur qu'il fût , ce match n'avait pour but que de dégager l'équipe appelée à jouer le premier test le 11 juin à Sydney. Un banc d'essai plus sérieux attendait les Tricolores le samedi 28 mai contre la sélection de Sydney et , le samedi 4 juin, contre l'Etat de Nouvelles-Galles du Sud , ces deux rencontres tout comme le premier test, ayant lieu sur le même terrain : le fameux Cricket Ground.Devant Sydney , la France alignait l'équipe qui avait triomphé à Wagga-Wagga à l'exception de Vadon remplaçant Casas au talonnage , c'est à dire Razz.Lacaze.Gruppi.Jimenez.G.Benausse.Foussat.Mantoulan .Darricau.Barthe.Erramouspe.Majoral.Bascos.Vadon.Quaglio. L'équipe de Sydney était , à peu près égale à l'équipe nationale avec 11 "kangourous" dont Barnes , Gasnier , Boden , Irvine , Brown , Raper et Provan qui allaient être les vedettes du XIII d'Australie. Barthe , blessé au genou , la ligne d'avants tournait au-dessous de son régime. Face à des Australiens sachant admirablement garder la balle , Mantoulan et Pierre Lacaze tapèrent trop de coups de pied . Grâce pourtant à un Gilbert Benausse étourdissant , tant en attaque qu'en défense , et à "Papillon" Lacaze qui réussissait 14 points de coups de pied, une transformation deux drops et quatre buts , le XIII de France n'était battu que par 23 à 17 . Le lendemain à Wollongong , la France , comptant déjà une bonne demi-douzaine d'éclopés , était obligée de présenter une équipe rapiécée avec quatre joueurs ayant dû jouer la veille : P.Lacaze , Foussat , Majoral et Bescos . Devant la très bonne sélection de la Province Sud , les blessures de Foussat au genou et Dubon aux reins désorganisèrent complétement une formation déjà branlante et ce fut un sévère 35 à 10 . Après cette saumâtre défaite , Antoine Blain réunit dans sa chambre Guy Vassal , René Duffort et Jean Duhau . Le XIII de France devait trouver d'urgence les causes du malaise qui le paralysait. Par exemple , Pierre Lacaze , encouragé par ses 14 points de Sydney , voulait tenter de battre le record de Puig-Aubert . Cette visée personnelle nuisait au rendement de l'ensemble , aussi , Antoine Blain décida d'avoir une entrevue avec "Papillon" pour le ramener à un jeu plus collectif. Mais ce n'était pas la cause essentielle du mal , il y avait les méfaits de la séparation de Djakarta . Un malaise existait entre ceux qui avaient joué à Perth et qui avaient hâtivement admis qu'ils étaient l'équipe de France et ceux qui , ayant joué à Darwin , croyaient trop vite qu'ils n'étaient que des réserves. Une réunion générale devait le lendemain matin remettre les choses en place. Enfin , puisque tous étaient sérieux et disciplinés , il était anormal que certains ne puissent suivre la cadence des matches. Il fallait tenter de déceler ceux qui ne digéraient pas l'entraînement intensif.Le mercredi à Dubbo , un premier brassage fut opéré . Le temps était limpide , l'herbe tendre et l'occasion belle de faire une grande démonstration . La réception dans cette ville de l'intérieur , nous abasourdit une fois de plus . Cette fois , les Tricolores furent conduits dans des voitures américaines , précédées par des Majorettes en grande tenue jusqu'au centre de la pelouse. Une blessure de Quaglio au genou empêcha l'équipe de France d'affirmer toutes ses possibilités et elle dut s'incliner 14 à 7 , mais elle avait montré une sensible amélioration . Les dirigeants de Dubbo voulurent donner aux Tricolores un petit kangourou vivant . Guy Vassal le reçut dans les bras , tout enrubanné de tricolore et il n'osa le refuser . "Dubbo" , puisqu'il fut baptisé ainsi, trouva en André Lacaze un fidéle gardien et devint bientôt le plus populaire kangourou d'Australie . On le filma en train de manger à table , il fut photographié à l'entraînement de l'équipe de France sur le stade . Mais ce n'était pas un kangourou des villes , l'ennui lui vint du manque d'uniformité . Alors , on le porta à Taronga Park , le magnifique zoo de Sydney, au bord de la baie où , depuis il coule des jours heureux. A une semaine du premier test , le match contre la Nouvelle-Galles du Sud était l'ultime revue de ceux qui pouvaient prétendre gagner leur place dans le XIII de France . L'équipe qui avait affronté la sélection de Sydney le samedi précédent fut donc retouchée. Perducat prenait à l'aile la place que Foussat , blessé, ne pouvait tenir. Fages , qui avait fait une bonne rentrée à Dubbo , remplaçait Darricau à la mêlée . Barthe , dont le genou était moins enflé , occupait en deuxième ligne le poste tenu par Erramouspé , permettant à André Lacaze d'être vu en troisième ligne. Rossi jouait pilier au lieu de Quaglio éliminé. Enfin Casas était revu au talonnage. La défaite était plus lourde que devant Sydney : 25 à 7 et pourtant le XIII de France avait incontestablement mieux joué; Gilbert Benausse , une fois de plus , avait été le roi du terrain , avec un Fages déchaîné. En revanche "Papillon" Lacaze et Mantoulan avaient encore abusé des coups de pied , donnant aux Australiens de magnifiques occasions de contre-attaquer. Cette défaite en elle-même , n'inquiétait pas trop les responsables du XIII de France . Le rétablissement de l'équipe était évident , bien que la chance fût contraire. L'insécurité venait d'une infirmerie abondamment garnie . A une semaine du premier test , voici quelle était la situation :Foussat victime d'un coup au genou , avait la jambe raide ; Jimenez souffrait d'un début d'otite et d'un énorme furoncle au nez; Quaglio , blessé au genou à Dubbo , était indisponible; Boldini s'étant fait une entorse à la cheville à l'entraînement, devait lui aussi renoncer ; Barthe terminait chaque match avec un genou enflé comme une baudruche ; enfin notre demi de mêlée numéro un , Fabre , traînait une déchirure musculaire depuis le début de la tournée. Bill Moore s'affairait . Massages , rayons , pansements , l'Olympic Hotel ressemblait plutôt à un hôpital de campagne.Le jeudi soir , nouvelle réunion au sommet , où il fut décidé de prendre le maximum de risques. C'est ainsi que Barthe tiendrait sa place ainsi que Foussat qui avait pu courir à l'entraînement et, véritable coup de poker , Fabre jouerait à la mêlée . Une déchirure , c'est un mal sournois . Il faut trois semaines à un mois de repos et de traitement pour la guérir et même après cette période de soins énergiques , on n'est jamais très sûr que les muscles tiendront , surtout dans un démarrage sec. Et précisement , la force de Fabre était son changement de rythme brutal , son merveilleux coup de rein . La France prenait donc le risque de jouer à douze au bout de quelques minutes , et de perdre Fabre pour le restant de la tournée. L'Australie pour sa part , n'avait que l'embarras du choix . Son équipe était terriblement dangereuse . Elle avait des avants énormes et des attaquants meilleurs que tous ceux qu'elle avait pu posséder auparavant avec , notamment , l'extraordinaire Reg Gasnier qui était , sans aucun doute , le meilleur centre du monde avec notre Gilbert Benausse. La lecture des journaux n'était pas de nature à rassurer les responsables du XIII de France . Pour faire le recensement de leurs forces , les Australiens avaient disputé un match inter-états , Nouvelle-Galles du Sud-Queensland . Celui-ci avait vu le triomphe final des Queenslanders qui , après avoir été menés 12 à 0 à la mi-temps , l'emportaient finalement pas 17 à 12 . Les avants du Queensland avaient été si impressionnants que le "Sunday Mirror" avait écrit: "LES AVANTS DU QUEENSLAND QUI ONT FINALEMENT ECRASE LA NOUVELLE-GALLES DU SUD , SONT DES MONSTRES ANTEDILUVIENS REVENUS A L'AGE ATOMIQUE" Et pour nous mettre sans doute du baume sur le coeur , la rumeur publique désignait ces fameux avants sous le nom de "Killers" , autrement dit les " Tueurs". Les deux équipes se présentèrent donc ainsi , ce samedi 11 juin , au Sydney Cricket Ground. France : Arrière P.Lacaze . Trois-quarts Foussat.Jimenez , cpte, G.Benausse. Gruppi . ouverture : Mantoulan . Mêlée : Fabre troisième ligne Fages deuxième ligne : Barthe . Erramouspé. Première ligne: Bescos.Casas.Rossi. Australie: Arrière Barnes , cpte . Trois-quarts Irvine , Boden ,Gasnier, Lumsden Ouverture Brown . mêlée Muir . troisième ligne Raper deuxième ligne Rasmussen . Paterson Première ligne : Beattie , Kelly , Parcell. .Philippe était un étrange petit bonhomme , maigre , chétif , mais qui brûlait tout entier à la flamme du rugby . Installé en Australie depuis quarante-cinq ans , il savait encore suffisamment de français pour entretenir des conversations animées avec un terrible accent australien .La veille au soir , il m'avait confié : - Je vais planter le couteau dans la terre et il fera un beau soleil demain , pour la France. Il fait toujours soleil quand je plante le couteau . D'ailleurs , je n'ai pas hésité , j'ai parié 100 livres sur la France. Sacré Philippe , 100 livres , c'était tout son mois de salaire à l'Arsenal de Sydney! Il allait encore s'agiter comme un diable dans un bénitier. Le couteau de Philippe avait apporté le soleil désiré par la France et le stade était bourré à craquer. Le prix des places ayant été augmenté pour la circonstance , le record de recette était pulvérisé avec 30 millions d'anciens francs . La consigne donnée à l'équipe de France était de monter en défense en vagues rapides , pour museler , au départ , les " Killers". - Si on les laisse se lancer , il vont nous ravager , me confiait Jean Duhau. Par bonheur les Tricolores appliquaient la consigne à la lettre et les "Kangourous" étaient assez surpris par ces percutants placages aux jambes qui les culbutaient avant qu'ils aient pu se mouvoir. Dans les tribunes , la défense acharnée des Français était saluée par de longs murmures admiratifs. A la surprise générale , c'était même la France qui ouvrait le score à la 4é minute , par un superbe but de pénalité réussi par "Papillon" Lacaze pour hors-jeu du pilier Beattie . Peu après , c'était au tour de Barnes de passer un but des 25 mètres , pour tenu mal joué par Fages. Ce premier test , âpre ,serré ,émouvant , devait être d'ailleurs un sensationnel duel entre les deux arrières. En effet à la 12é minute , une obstruction de Beattie permettait à Lacaze de réussir le but des 35 mètres en biais et de redonner l'avantage à la France 4 à 2 . Mais , une fois encore, quatre minutes plus tard , Barnes obtenait l'égalisation par un sensationnel but des 45 mètres du bord de la touche. La fièvre montait vertigineusement dans le stade. Une attaque australienne sur sortie de mêlée , près de sa ligne , provoquait une monumentale trouée de Gasnier . De sa foulée racée de lévrier , Gasnier dévorait le terrain . L'essai devenait inévitable , quand on vit arriver un bolide qui remontait Gasnier mètre par mètre , avant de l'écrouler près des poteaux français . Ce sauveur , c'était Gilbert Benausse; La réplique française était cinglante . Sur un démarrage éclair , derrière sa mêlée , Fabre perçait . L'attaque , renversée sur Jimenez , Benausse et Mantoulan , dresait encore la foule quand Lumsden , revenu de l'autre aile , plaquait "La Mantoule" à deux mètres de la ligne. Cette réponse du berger à la bergère situait le niveau de la rencontre . C'était un choc de titans , d'autant plus oppressant qu'il était parfaitement équilibré. Bâillonnés par le dévouement généreux des avants de France , les "Killers" ne pouvaient développer leurs assauts dévastateurs . Le licou de la défense française les tenait prisonniers , permettant à nos attaquants de déployer leur classe , au même titre que leurs illustres adversaires. L'Australie prit pour la première fois la tête (6-4) à la 35é minute , par une troisième et superbe but de Barnes , des 40 mètres , sur faute de Casas au talonnage. La France eut alors une réaction magistrale et peut-être eut-elle alors le sort du match en mains . En effet , c'était tout d'abord Pierre Lacaze qui , à deux minutes de la mi-temps , tirait un coup de pied de pénalité de 30 mètres en biais , pour faute de Muir à la mêlée. Hélas , le ballon était renvoyé par le poteau gauche . Juste avant la fin de cette première mi-temps , Jimenez perforait la défense australienne en plein centre . Le capitaine français , prêt à être remonté , servait Foussat à l'aile droite . Notre ailier trompait son vis-à-vis Irvine par un crochet à l'intérieur , arrivait sur l'arrière Barnes , le fixait et adressait une longue passe au centre à Mantoulan . Celui-ci ne la reçut jamais car Rasmussen le plaqua avant qu'il ait pu se lancer pour prendre la balle . M.Col Pearce , au demeurant un excellent arbitre , trop loin de l'action , ne vit pas la faute de Rasmussen . Il ne siffla point . Dommage . Sans la faute australienne Mantoulan aurait probablement marqué sous les poteaux . Cette faute méritait d'autre part un coup de pied de pénalité à 20 mètres en face des poteaux et "Papillon" eût sans doute fait le but.. Au lieu d'égaliser selon ses mérites , le XIII de France allait , au contraire, perdre un peu de terrain au début de deuxième mi-temps. Un quatrième but de Barnes , pour faute de Fabre à l'introduction , permettait à l'Australie de mener 8 à 4, un quart d'heure aprés la reprise. L'écart allait-il se creuser définitivement?Point du tout . M. Col Pearce était très pointilleux sur la question des mêlées. Trois minutes après Fabre , c'était le demi australien Muir , qui était à son tour pénalisé . Lacaze réussissait le but et la France revenait à 8-6. Dans les tribunes c'était du délire . Un Australien , trop ému par la domination des Tricolores , mourut d'ailleurs d'une crise cardiaque . Les nerfs étaient à vif . La France attaquait sans relâche mais tous les Australiens s'accrochaient à ces deux points d'avance . Un essai , un tout petit essai et le XIII de France triomphait . Mantoulan , sur interception , échouait à quelques mètres . Gilbert Benausse s'échappait , tapait à suivre . Foussat surgissait seul devant la ligne australienne , mais le caprice d'un rebond le privait du ballon de la victoire. Et le temps filait . Cinq , quatre , trois , deux , une minute . Le XIII de France , déchaîné , toutes griffes dehors , déchirait la défense verte . Les Kangourous s'éparpillaient , s'affolaient et les Français portés par la foule en délire , entraînaient tout dans leur assaut désespéré. Essai sous les poteaux ! Non mêlée à cinq mètres , dernière seconde de jeu, dernière angoisse , le chronométreur avait déjà tendu le bras. mais M.Col Pearce se penchait scrupuleusement sur cette ultime empoignade des deux colosses. La balle à la France , et l'essai de la victoire était probable tant les Tricolores dominaient les Kangourous harassés. Cette balle , l'Australie la voulut à tout prix , même à celui d'une faute . Kelly lâcha ses piliers et M. Pearce siffla la pénalité en même temps que la cloche retentissait comme un glas. Le match se finirait donc sur la tentative de but de Pierre Lacaze , que ses camarades étreignirent un bref instant . Jamais " Papillon" ne prépara avec tant de soins un coup de pied d'apparence si facile . Le stade entier fit silence avant d'exploser de joie . Le but était réussi , la France avait arraché (8-8) le plus palpitant match nul que le Cricket Ground ait jamais vu . Le délire joyeux de la foule de Sydney , c'était l'Australie ravie d'avoir retrouvé les Tricolores , ses princes charmants de l'Ovale , heureuse que la justice ait été respectée. ILS N'EN MOURAIENT PAS TOUS. Le XIII de France eut à peine le temps de sabler le champagne , déjà l'attendait la campagne du Queensland. Son début fut d'ailleurs assez sensationnel . Le lundi 13 juin , les Tricolores affrontaient à Brisbane , en nocturne à l'Exhibition Ground , la sélection de la capitale du Queensland. L'air était merveilleusement doux , la pelouse impeccable et les Tricolores , après une première mi-temps assez terne , s'imposaient grâce aux perçant de leurs trois-quarts .C'est alors que l'arbitre de l'endroit , un certain M.Purtell se mit à faire tomber sur le dos des Français plus de pénalités que de coups de bâton sur le poil de Maître Aliboron. Les Tricolores n'apprécièrent point la chose . On discuta , palabra et l'on dit même qu'un juge de touche , venu soutenir la thèse de son supérieur hiérarchique , reçut dans la nuit de Brisbane , et dans le bas du dos , un coup de pied occulte dont la chaussure à bout dur aurait appartenu à Gilbert Benausse , mais on dit bien des choses à Brisbane , la nuit.... Ces incidents valurent une assez belle popularité à l'équipe de France car il fut dit aussi , à Brisbane , que les "Fiery Frenchmen" avaient été proprement "encaissés". La presse féminine mena campagne pour les Tricolores . C'est ainsi que le "Telegraph" écrivit dans sa page de la femme: "Les Tricolores sont particulièrement séduisants avec leurs beaux yeux noirs , leur chevelure soignée , leurs ongles impeccables et leurs costumes élégants . Ces joueurs , qui passent pour être plutôt "durs" sur un terrain , sont si raffinés dans la vie courante , qu'ils poussent la séduction jusqu'à employer un parfum spécial après s'être rasés ou, au stade , après la douche ....." Le samedi 18 juin fut marqué d'une pierre noire . La France qui avait mis Barthe au repos , était dominée (30-18 ) par le Queensland dont les fameux avants "tueurs" n'avaient pas digéré l'humiliation du samedi précédent dans le premier test . Mais plus grave encore , cette défaite était due pour une bonne part à la blessure de Gilbert Benausse . Le XIII de France perdait son attaquant numéro un , son meilleur atout , pour le restant de la tournée. Par chance , à l'exception de Barthe qui devait subir une ponction au genou et Darricau victime d'une angine , tous les autres étaient rétablis. C'est ainsi que le lendemain de la défaite devant le Queensland , une équipe formée de treize autres tricolores conduits par Joseph Guiraud , triomphait à Maryborough , au nord de Brisbane , de la sélection de Wide-Bay par 33 à 10 . Ce match était plein d'encouragements . Quaglio effectuait une bonne rentrée . Des éléments nouveaux comme Boldini , Vadon , André Lacaze , Mezard ,Poletti , Perducat , Guiraud et Dubon affirmaient leur désir d'assurer la relève . J'ai déjà dit , maintes fois , combien était touchante la sincère amitié que les Australiens portaient à l'équipe de France.Les dirigeants de Maryborough se multipliaient afin de combler les moindres désirs des Tricolores .L'un deux vint même , un soir , trouver Jean Duhau et lui dit sur un ton de confidence . - Vous savez , ici , nous avons d'excellents serpents . La région produit beaucoup de canne à sucre et l'on en trouve de superbes , des noirs , des verts , des tigrés . Si vous en voulez quelques douzaines avant le deuxième test , faites-le moi savoir . N'allez surtout pas croire que Jean Duhau voulait devenir fakir . C'était tout simplement le résultat d'un canular. Les journalistes australiens sont très avides de petits détails sur la vie privée et la préparation des joueurs de rugby . Avant le premier test , Jim Mathers avant demandé à Jean Duhau , si les Français ne prenaient pas un tonique , pour être aussi vifs sur le terrain. - Bien sûr , avait-il répondu . La veille d'un test , je donne des serpents à mes hommes. - Pouah ! Vous êtes des hommes étranges , vous autres Français , vous dévoriez déjà des grenouilles et des escargots , voilà que vous vous mettez à manger des boas ! - Mais non , pas des gros serpents , des petites vipères , grosses comme le pouce . On enlève la tête , à cause du venin , on les fait bouillir et on les met dans des bocaux . Les vipères , cela donne un tonus incroyable. - Ca alors! Des vipères ... Jim Mathers partit , incrédule , mais après l'étourdissante partie du premier test , il fit un article à sensation dans le "Daily Mirror" intitulé: " Voici le secret des Français!" et Jim Mathers terminait son article ainsi: "Le malheur , pour nos amis français , c'est qu'ils manqueront de vipères avant la fin de la tournée ." Le brave dirigeant de Maryborough ayant lu cet appel , voulait réapprovisionner l'Equipe de France . Jean Duhau ne le détrompa point. - Merci beaucoup , vous êtes très aimable , mais justement , la fédération française nous en a fait livrer , par avion , une caisse . Et l'homme partit, heureux que le XIII de France n'ait manqué de rien dans sa bonne ville. Le XIII de France poursuivit dans le Queensland une tournée victorieuse. Ce fut tout d'abord le succès , en nocturne , à Rockhampton sur le Queensland Central (13-8); Malgré un orage tropical transformant le terrain en marécage , les Français construisirent leur victoire en grands seigneurs . Boldini, Mezard , Vadon ,Perducat , Mantoulan , Foussat , Gruppi , et surtout un Quaglio démoniaque , furent les plus remarquables. Au rayon des inquiétudes , figurait le mystérieux manque de réussite de "Papillon" Lacaze dont quatre coups de pied faciles avaient échoué.Le week-end des 25 et 26 juin , une semaine avant le deuxième test offrait l'occasion aux sélectionneurs de passer le revue de tous les éléments valables. Barthe effectuant sa rentrée , il y avait 25 valides et 3 éclopés : Gilbert Benausse éliminé pour le restant de la tournée , René Benausse victime d'une déchirure à la cuisse à Marybourough et Moulinas touché au genou , à Marybourough également. André Lacaze , trois -quarts aile à Cairns et troisième ligne à Townsville , fut le seul à doubler. A Cairns le samedi , sous un soleil tropical et dans une poussière aveuglante , les Tricolores l'emportèrent facilement ( 26-15) sur l'Extrême Nord du Queensland , malgré un excès d'individualisme. A Townsville le dimanche , les rugbymen français voulurent voir , le matin même de leur arrivée , l'entraînement de l'équipe Olympique d'Australie de Natation . Pendant trois heures , ils assistèrent à l'extraordinaire préparation de vedettes mondiales , les Konrads , Devitt , Rose , Henricks , Dawn Fraser etc . L'après-midi , les nageurs australiens rendirent la politesse aux Tricolores et furent les témoins passionnés du triomphe du XIII de France sur le North Queensland par 22 à 5 . Fabre , tant en attaque qu'en défense , fut le roi du terrain . En revanche,les sélectionneurs se demandaient avec une inquiétude de plus en plus grande , ce qu'était devenue la botte magique de Pierre Lacaze qui manqua, une fois encore , quatre transformations et buts bien placés. L'équipe de France revenait donc à Brisbane la tête haute , ayant obtenu quatre victoires en quatre matches . Tandis que les réservistes reprenaient leurs quartiers à l'Australian Hotel au centre de la ville, seize joueurs présélectionnés se réfugiaient avec René Duffort sur les bords tranquilles de la Brisbane River , au Regatta Hotel , charmante demeure à demi-enfouie sous la végétation tropicale . La vie était paisible et , en même temps qu'ils se concentraient sur ce deuxième test qui faisait parler toute l'Australie , les Tricolores pouvaient méditer sur les raisons qui avaient amené les sélectionneurs des "Kangourous" à bouleverser leur équipe. Le XIII d'Australie avait effectivement changé de visage . Les fameux "Killers" ces avants "tueurs" du Queensland ayant été muselés à Sydney , au premier test , par l'équipe de France , il leur fallait trouver une arme nouvelle. Il fut donc décidé de faire , coup sur coup , deux matches exceptionnels entre le Queensland et la Nouvelle-Galles du Sud , tandis que les Français voyageaient dans le Nord. Dès la première rencontre , les avants du Queensland s'imposèrent encore , mais dans la seconde , ceux de Nouvelle-Galles du Sud faisaient cavalier seul . Alors , obéissant à la loi de la jungle , les sélectionneurs éliminaient les Queenslanders , à l'exception de Rasmussen et incorporaient leurs vieilles gloires: les avants Mossop , Provan , Hambly , et le centre Wells , à nouveau associé à Gasnier . Cette équipe d'Australie était effrayante avec deux piliers de1m92 , Mossop et Rasmussen et l'immense Provan (1m96) associé en deuxième ligne à " Dynamite-Hambly" . les sélectionneurs ne s'étaient pas trompés dans leur choix . ils avaient formé la meilleure équipe que l'Australie ait jamais possédée , avec une colossale ligne d'avants , les "Monstres" comme les Tricolores les appelaient , qui avaient une tête et dix kilos de plus que les nôtres . Derrière ce pack incomparable , on trouvait une attaque éblouissante avec l'admirable paire de centres , Wells et ses 95 kilos de muscles , associé au fulgurant et subtil Gasnier . Enfin à l'aile , Lionel Morgan , la "Flèche noire " , l'enfant chéri de Brisbane , devenait le premier international de couleur.Dans l'équipe de France , on avail voulu faire un ensemble homogène. Alors on avait pris les quatre trois-quarts de Villeneuve : Dubon Jimenez Foussat Gruppi . La charnière troisième ligne , demi de mêlée était albigeoise : Fages - Fabre ; ainsi que l'entente demi de mêlée-talonneur : Fabre - Vadon . Enfin la deuxième ligne était roannaise : Barthe .Erramouspe . Les équipes en présence étaient donc les suivantes le samedi 2 Juillet. Australie : Barnes capitaine . Irvine . Wells . Gasnier . Morgan. Banks . Bugden . Raper . Provan . Hambly . Mossop . Rayner . Rasmussen . France : P.Lacaze . Dubon . Jimenez capitaine .Foussat . Gruppi. Mantoulan . Fabre . Fages . Barthe .Erramouspe . Bescos . Vadon .Quaglio. Il faut bien le reconnaître cette équipe de France , ne nous inspirait guère confiance . Les avants avaient montré une certaine lassitude , en particulier Bescos et Fages . Et puis , en face , l'équipe d'Australie était superbe sans fissures . " Catastrophe ou sensationnelle victoire pour le deuxième test aujourd'hui à Brisbane ?" tel était le titre pessimiste que j'envoyais la veille du match , à "l'Equipe" , et que je terminais ainsi : " Nous frémissons à l'idée que les avants tricolores pourraient retomber dans les erreurs , ne pas plaquer aux jambes ou vouloir répondre à l'engagement physique voulu par les" kangourous " . La défense française , alors , ne tarderait pas à être brisée et nous risquerions d'aller vers une véritable catastrophe comme le XIII de France en a connu naguère . " D'inquiétants nuages d'encre roulaient dans le ciel de Brisbane.Malgré l'orage menaçant , l'Exhibition Ground était trop petit . Le public avait rongé une bonne partie de la pelouse , ne laissant libre que le champ clos . Dès les premiers mouvements , on vit que le XIII de France n'avait pas son allure conquérante . Les avants , comme on le craignait , laissaient trop de liberté aux "Monstres" qui devenaient réellement monstrueux . Les Tricolores n'avaient pas trop de toutes leurs forces pour résister . Hélas ! une terrible malchance s'acharna à leur perte . Le premier coup dur s'abattit d'entrée : Fabre , le meilleur atout français , était touché au genou à la deuxième minute et dut jouer tout le match en boitillant . A la huitième minute , c'était Foussat qui était mis K.O par un coup de genou de Provan le géant et il devait quitter le terrain . Malgré cela les attaquants français menaient quelques mouvements qui échouaient de justesse et à la mi-temps l'écart restait humain: 18-4. Mais , juste après la reprise , c'était au tour de Fages d'être victime d'une entorse et de finir le match clopin-clopant . Foussat , revenu à demi-groggy , tombait mal avec l'énorme Provan sur le dos et quittait définitivement le terrain avec une luxation acromio-claviculaire qui l'éliminait pour le reste de la tournée australienne . Avec dix joueurs valides , tout match devient impossible en rugby à XIII où il n'y a pas de frein de secours pour ralentir la chute. L'équipe de France fut donc décimée 56 à 6 ! C'était dur , beaucoup trop dur. Une immense retraite de Russie commençait pour l'infortuné XIII de France.Rassemblant ses énergies , appelant à son secours les quelques joueurs frais qu'il possédait encore , il allait , le 6 juillet , surclasser la sélection d'Ipswich (33-19) . Boldini , Poletti , Guiraud , Marty , Mézard , Verges et André Lacaze démontraient qu'ils étaient dignes d'assurer la relève . Hélas! Majoral était victime d'une déchirure à l'aine , Mezard souffrait d'un coup aux reins , et , surtout le malheureux Boldini avait une affreuse coupure à la langue , résultant d'un coup de tête australien . A n'en pas douter , si le choc avait été un peu plus fort , le morceau fut tombé sur la pelouse d'Ipswich . Pauvre Angelo , lui qui était devenu populaire par sa corpulence , sa force percutante et sa manie de discuter avec les arbitres , lui que la presse appelait " The Bold Boldini" ( le hardi Boldini) était réduit au silence et à boire du lait avec un macaroni. A Toowomba , le XIII de France luttant de toutes ses forces , avec tout son cran , contre l'adversaire fit un match admirable face à la meilleure équipe de tout le Queensland . Mais quelle mouche piqua ce jour-là Pierre Lacaze ? On sait que notre "Papillon" avait perdu mystérieusement sa fameuse botte . A Toowomba il manqua encore deux coups de pied bien placés; aussi , au troisième , René Duffort , de la touche , ordonna à Pierre Lacaze de laisser botter son homologue André Lacaze . "Papillon" se mit à rouspéter comme un voleur et à gesticuler , amusant fort les quelque 20.000 Personnes présentes. Après quoi , voulant prouver qu'il était le meilleur , il fit un numéro acrobatique qui se termina par un essai entre les poteaux de l'ailier adverse Lohman . Cela provoqua les rires du public mais aussi la grande colère de Guy Vassal , de René Duffort et des Tricolores . A ce cadeau de cinq points , allait s'ajouter un handicap supplèmentaire : les blessures de Gruppi touché au genou et André Lacaze victime d'une déchirure à la cuisse. Héroïque , le XIII de France arrachait tout de même le match nul (21-21)mais à une semaine du troisième test , trois nouveaux joueurs étaient éliminés : André Lacaze et Gruppi , blessés et Pierre Lacaze, banni par mesure disciplinaire. Les Tricolores quittaient le Queensland le lendemain matin , pour pénétrer à nouveau dans la Nouvelle- Galles du Sud . Ils devaient livrer leur avant-dernière bataille à Armidale , à 1000 mètres d'altitude , dans le climat rigoureux des Montagnes Bleues . Le XIII de France , sur son chemin de retraite ,remporta une nouvelle victoire à la Pyrrhus . Sous un crachin glacé , la sélection de la Province du Nord fut emportée 24-10 , mais, la malchance persistant , la situation de l'équipe de France devenait dramatique. Verges , le premier , était victime d'une déchirure à la cuisse . Il allait seconder Poletti à l'arrière mais il put si peu remuer qu'il attrapa une angine . Marty passa à l'aile , mais il fit une mauvaise chute et se blessa à l'épaule. Pour compléter ce noir tableau , Perducat , à l'ultime seconde, en marquant tout seul le dernier essai , se faisait une luxation acromio-claviculaire. Dans le matin pluvieux , l'équipe s'envola pour Sydney . L'avion , un petit D C 3 était si fatigué qu'il ne put emporter la grosse valise de Quaglio . Il dut faire appel à la dernière énergie de ses moteurs souffreteux pour s'arracher , dans les derniers mètres , à la piste détrempée. C'était l'image du pauvre XIII de France estropié. DEBOUT LES MORTS. En arrivant à Sydney , l'équipe de France était vraiment une compagnie napoléonienne après le passage de la Bérésina. Et cette pluie qui noyait la ville n'arrêtait pas de tomber . Les Français restaient au gîte , pansant leurs blessures . Bille Moore se multipliait de chambre en chambre , massant l'un , soignant l'autre . L'Olympic Hotel n'avait plus de visiteurs , on ne s'intèresse jamais au lion blessé. La presse mettait les sélectionneurs en garde : "Attention! Ne tenez pas compte de cette trop facile victoire que l'Australie va remporter sur l'équipe de France . Ne prenez pas à la lettre un succès déjà acquis , sur une équipe de France agonisante . " Ils faisaient peine à voir , les Tricolores . Antoine Blain réunit dans sa chambre Guy Vassal , Jean Duhau et René Duffort et fit l'état des blessés: Gilbert Benausse genou , René Benausse déchirure à la cuisse ,Gruppi genou , Foussat épaule , Perducat épaule , Verges déchirure et angine , Moulinas genou , Fages genou , Marty épaule , André Lacaze déchirure , Mezard reins , Boldini langue , Rossi tête , Majoral déchirure à l'aine , Darricau coup à la jambe et enfin "Papillon" Lacaze puni. Il y avait donc 16 joueurs sur 28 indisponibles . Il ne restait que 12 éléments à peu près valides : Poletti , Dubon , Mantoulan , Fabre , Jimenez , Guiraud, Barthe , Erramouspe, Quaglio , Bescos , Vadon , et Casas ,et encore ces deux derniers étaient candidats au même poste: celui de talonneur. Il fallait donc prendre deux des moins éclopés . La coupure de la langue de Boldini n'était toujours pas cicatrisée mais il pouvait courir . Alors il répondit présent...par gestes . Pour le deuxième poste libre , on appela Marty . Il avait mal à l'épaule mais , avec un morceau de caoutchouc mousse épais , comme celui dont on se sert pour le rembourrage des fauteuils , il pourrait jouer les utilités à l'aile . L'Australie faisait savoir qu'elle n' apporterait qu'une simple retouche à la super-équipe du deuxième test, et c'était encore une amélioration puisque le jeune et impétueux Boden remplaçait Banks , le vieux renard. Antoine Blain resta muet jusqu'au 14 juillet , au retour fameux de Botany Bay.*** Tandis que le XIII de France , regroupé , regénéré à la simple vue du maillot tricolore , vieil emblème passé , délavé , déchiré par tant de combats , Antoine Blain annonçait à l'Australie la plus incroyable des équipes de France : Arrière : Poletti . Trois-quarts : Dubon , Mantoulan , Fabre , Marty. Ouverture: Jimenez(capitaine) Mêlée:Guiraud. Troisième ligne: Barthe Deuxième ligne:Quaglio . Erramouspé . première ligne :Bescos.Vadon .Boldini. Dans le salon , il y avait toute la presse sportive australienne : Bill Corbett, Tom Goodman , George Crawford , Jack Reardon , Alan Clarson, Ernie Christiansen . Ils se regardèrent interloqués. - " Comment pensaient-ils , un pilier comme Quaglio en deuxième ligne , Barthe , un deuxième ligne en troisième ligne , Marty un troisième ligne , à l'aile ; Fabre , un demi de mêlée , au centre ? Ces Français sont bien mal en point . Demain au Sydney Cricket Ground , nous allons assister au plus sensationnel écrasement que l'on ait vu de mémoire d'Australien." Ils nous quittèrent avec un sourire attristé , à pas feutrés , en parlant bas , comme l'on fuit la maison d'un agonisantNous restâmes seuls avec ce brave Philippe , les yeux embués , qui marmonnait dans les couloirs: -Quel malheur ! Quel Malheur ! je vais planter le couteau dans la terre... Pauve Philippe qui appelait le ciel au secours de la France ! Etait-il désirable ce soleil ? Ne valait-il pas mieux , au contraire , une trombe d'eau qui eût ralenti l'écrasement des Français? Le couteau de Philippe amena la soleil . Le public vint donc , fidéle au rendez-vous , non comme autrefois en passionné , mais en curieux. Les bookmakers ne prenaient pas de paris sur les chances de chaque équipe mais sur le score de la victoire australienne. Ils firent de bonnes affaires. Dans le vestiaire , les Français se déshabillèrent lentement. Jean Duhau distribua les maillots , tenta de détendre un peu l'atmosphère. - Dis donc , Barthe , on m'a dit qu'à XV tu étais le meilleur avant du monde . Je ne demande qu'à le croire mais jusqu'à présent , à XIII tu ne nous a présenté que des bricoles .Alors cet après-midi , montre-nous enfin ce que tu sais faire . Et toi , Boldini , tu es le seul qui ait réussi à engraisser pendant la tournée . je sais , tu as ta langue coupée , mais pour toi c'est un avantage , ainsi tu ne perdras pas de temps à discuter avec l'arbitre. Enfin , Angelo, tu as la mauvaise habitude de dormir dans les 22 mètres , alors tâche d'aller roupiller dans les 22 mètres australiens et non pas dans les nôtres . Et toi "Guiguille" , si tu continues à crocheter sans savoir pourquoi , tu vas te faire des noeuds avec tes jambes comme des ficelles.... Chacun eut son mot et les sourires refleurirent . Enfin , ils furent prêts. C'est alors qu'Antoine Blain entra. Le " Turc" avait les traits tirés , la figure pâle . Cette tournée avait ruiné la santé de ce vieux lutteur , miné par une maladie de coeur .Les joueurs ne l'ignoraient pas . C'est pourquoi ses paroles les touchèrent profondément. - Messieurs , depuis deux mois que nous vivons ensemble , vous avez pu voir que je ne suis pour vous ni un pion , ni un gendarme , ni un gardien de prison , mais un ami. Entre amis , il faut tout se dire . Vous savez que je suis foutu , alors à vous ,les derniers membres d'un XIII de France que j'ai tant aimé , je demande de me donner ma dernière grande joie : une victoire française , votre victoire. Antoine Blain ne put en dire davantage . Pour la première fois deux larmes roulaient sur ses joues burinées.On attendait un hallali, ce fut une résurrection. Le XIII de France , puisant on ne sait où des ressources inhumaines , se jetait tout brûlant dans la bataille..Ce n'était , semblait-il qu'un baroud d'honneur , un chant du cygne , et le public de Sydney , toujours amoureux des "Flying Frenchmen" , applaudissait leur crânerie , leur bravoure. Pour tout le stade , ce début en trombe de la France était un superbe coup de folie mais tout de même , une folie . En se prodiguant ainsi , les Tricolores couraient à leur perte. La grande , l'impressionnante , l'imbattable constellation d'Australie parut toute surprise d'un tel départ. Comment cette équipe d'infortune pouvait-elle ressusciter de la sorte ? Mystère du rugby , beauté de l'esprit de sacrifice. Les montées défensives des avants français étaient autant de raids dévastateurs.L'immense Provan , qui voulait à tout prix forcer le blocus , était fauché , jeté au sol par les placages de Barthe , Boldini , Bescos ou Quaglio . Rasmussen , Hambly , Rayner , Mossop , subissaient le même sort. Nos six avants étaient devenus dix , douze démons qui détruisaient les velléités adverses avant de creuser à leur tour des brèches dans le "rideau vert australien". La surprise , peu à peu , fit place à de l'admiration . Les "Kangourous" ne pouvaient pas bouger d'un mètre tant la défense française était féroce . Deux , trois fois , la France eut l'occasion de marquer , mais , là, elle était trop amoindrie pour pouvoir conclure victorieusement. Il fallut attendre la 38 ème minute pour que la France , grâce à un but de Mantoulan , menât 2 à 0 . Une immense ovation salua les Tricolores rentrant au vestiaire à la mi-temps . Le stade entier savait la grande misère qui s'était abattue sur le XIII de France et un tel panache le bouleversait.A la reprise , on pensait toutefois que la formidable machine australienne allait se mettre en route pour ravager la résistance française. mais la folle audace ne s'arrêtait pas . Mieux même , derrière leurs avants-suicides , nos attaquants se lançaient à leur tour dans le bal des ardents. Par trois fois , Marty fut lancé seul dans un camp australien soudain dépeuplé . Un ailier ordinaire , ou tout simplement un Marty dans toute son intégrité , eut marqué trois fois entre les poteaux mais hélas ! souffrant de l'épaule , il était gêné dans sa course et , par trois fois , il fut rejoint à un mètre de la ligne . Pour maintenir cette faible marge de 2 à 0 , il fallait sans cesse refouler les " Monstres" dans leur tanière . Le stade entier avait le souffle coupé par un pareil combat. Un immense silence s'était abattu sur ce temple du rugby où les fidèles communiaient intensément. J'admirais l'énergie des Tricolores mais j'appréhendais leur chute . Les chances d'aller à l'essai se multipliaient mais la marge de sécurité n'augmentait pas. Prés de moi , les blessés serraient les poings de rage. Enfin les voeux murmurés avec ferveur furent exaucés. Sur un placage percutant de Bernard Fabre , Gasnier , le beau Gasnier lâcha la balle ... Le petit Dubon surgit alors comme un diable , ramassa la balle et fila marquer un essai que Mantoulan transforma . La France menait 7 - 0. C'est alors pourtant qu'elle fut le plus menacée. Touchés dans leur amour-propre , les " Kangourous" se déchaînèrent avec une ardeur souvent excessive. L'atmosphère devenait oppressante . Les Australiens , incapables de trouver la faille , comprenaient enfin que le match de Brisbane avait été réellement faussé par les blessures. Mais ils ne voulaient pas admettre d'être maintenant bousculés par ces Français qu'ils croyaient avoir terrassés quinze jours plus tôt. On craignit que le colosse australien , dans un ultime assaut , ne réussît à détruire le bénéfice de la longue et admirable domination des Tricolores. Nos avants résistaient encore aux rushes impressionnants de leurs adversaires , mais on sentait leurs forces diminuer.Ce que le déchaînement australien ne pouvait provoquer , un stupide incident allait-il le permettre ? Dans une ambiance orageuse , on vit soudain ,sur une attaque désespérée des Australiens , Irvine s'échapper mais , dans nos 22 mètres , il fut stoppé par Marty et Poletti et resta grogy sur le bord de la touche . Fabre , replié à toute allure , donna un grand coup de pied dans le ballon qu'il expédia en touche .Mais , constatant qu'Irvine ne se relevait pas , l'arbitre , M. Lawler , crut que Fabre avait frappé l'Australien et il ordonna l'expulsion. Stupeur , protestations véhémentes... Rien ne fit changer d'avis M.lawler alors que , déjà , Irvine simplement "sonné" par le placage reprenait sa place. Pour éviter que le jeu ne dégénérât , Blain et Duhau demandèrent au malheureux Fabre en pleurs , de quitter le terrain . Maintenant , il manquait un élément précieux au XIII de France . N'ayant plus son terrible garde du corps , Wells s'échappa au centre , et servit Morgan , la " Fléche Noire ", qui donna à Bugden l'occasion de marquer sous les poteaux un essai transformé par Barnes. Les trois dernières minutes furent intenables . Les Australiens revenus à 7-5 attaquaient avec une sauvage énergie. Le XIII de France , accablé par le malheur à Brisbane , privé d'une victoire méritée au premier test , avait peur désormais de se voir frustré de son heure de gloire. Nos avants , magnifiques , plus grands encore dans l'adversité , étaient là pour sauver une victoire chérement , superbement gagnée. Barthe chargeait avec rage . Quatre Australiens étaient accrochés à lui , mais, il avançait toujours et trouvait à ses côtés Boldini , Bescos , puis Erramouspé pour poursuivre la marche triomphale vers la ligne de but australienne que Vadon faillit franchir . Enfin la cloche retentit et la clameur de tout un stade annonça à l'Australie , la renaissance triomphale du XIII de France. Jamais un vestiaire ne m'a semblé si chaud ,si fraternel , que celui de l'équipe de France ce jour-là . Les Tricolores , les membres brisés , étaient tombés , désarticulés , sur leur banc . Sur leur visage étaient mêlés la boue , la sueur et le sang . Ils étaient morts de fatigue , mais ils goûtaient intensément cette ivresse muette des grandes victoires. Longtemps , nous sommes restés là , poignée d'amis à la tête vide mais au coeur gonflé de bonheur . Jouissance sans prix que l'on ne peut comprendre sans être un fidèle de ce sport , de cette chevalerie , de cette religion , que l'on nomme rugby. Aussitôt après le match , un banquet d'adieu était prévu dans la grande salle du Sydney Cricket Ground . Ils étaient tous là , les membres de l'Australian Board , les internationaux les plus glorieux , ceux qui avaient donné aux "KANGOUROUS" le plus pur de leur gloire. Elle était là aussi , cette équipe d'Australie , la plus grande , la plus belle , la plus forte depuis plus d'un demi-siècle . Il ne manquait que l'équipe de France..... ENFIN CELLE-CI APPARUT AU HAUT DE L'ESCALIER , MÊLANT SES HEROS ET SES ECLOPES . ALORS , D'UN MÊME GESTE , CENT CHAMPIONS PARMI LES PLUS GRANDS SE LEVERENT SANS MOT DIRE . ILS APPLAUDIRENT LONGTEMPS , LONGTEMPS , ATTENDANT QUE LE DERNIER DES TRICOLORES AIT PRIS PLACE A LA TABLE D'HONNEUR. cet ouvrage a été achevé d'imprimer le 15 décembre 1960.( sur les presses de l'imprimerie Firmin-Didot , Le Mesnil-sur-L'estrée(Eure) Mise en vente : janvier 1961 N° éditeur : 501 N° imprimeur : 7977